PIERRE JAVELOT
/ARTHUR RIMBAUD
La Voie de Ménélik (3)

© Pierre
Javelot
Rimbaud au
directeur du Bosphore Égyptien
(Le Caire, août
1887)
(... )
L'avantage de la route du Harar pour l'Abyssinie est très considérable. Tandis
qu'on n'arrive au Choa par la route Dankalie qu'après un voyage de cinquante à
soixante jours par un affreux désert, et au milieu de mille dangers, le Harar,
contrefort très avancé du massif éthiopien méridional, n'est séparé de la
côte que par une distance franchie aisément en une quinzaine de jours par les
caravanes. - La route est fort bonne, la tribu Issa, habituée à faire les
transports, est fort conciliante, et on n'est pas chez elle en danger des tribus
voisines. - Du
Harar à Entotto, résidence actuelle de Ménélik, il y a une vingtaine de
jours de marche sur le plateau des Itou Gallas, à une altitude moyenne de 2500
mètres, vivres, moyens de transport et de sécurité assurés. Cela met en tout
un mois entre notre côte et le Choa, mais la distance au Harar n'est que de
douze jours, et ce dernier point, en dépit des invasions, est certainement
destiné à devenir le débouché commercial exclusif du Choa lui-même et de
tous les Gallas. Ménélik lui-même fut tellement frappé de l'avantage de la
situation du Harar, qu'à son retour, se remémorant les idées des chemins de
fer que les Européens ont souvent cherché à lui faire adopter, il cherchait
toujours quelqu'un à qui donner la commission ou concession des voies ferrées
du Harar à la mer; il se ravisa ensuite, se rappelant la présence des Anglais
à la côte ! Il va sans dire que, dans le cas où cela se ferait (et cela se
fera d'ailleurs dans un avenir plus ou moins rapproché), le gouvernement du
Choa ne contribuerait en rien aux frais d'exécution. - Ménélik manque
complètement de fonds, restant toujours dans la complète ignorance (ou
insouciance) de l'exploitation des ressources des régions qu'il a soumises et
continue de soumettre. Il ne songe qu'à ramasser des fusils lui permettant
d'envoyer ses troupes réquisitionner des Gallas. Les quelques négociants
européens montés au Choa ont apporté à Ménélik, en tout, dix mille fusils
à cartouches et quinze mille fusils à capsules, dans l'espace de cinq ou six
années. Cela a suffi aux Amharas pour soumettre tous les Gallas environnants,
et le Djejatch Mékounène au Harar se propose de descendre à la conquête des
Gallas jusqu'à leur limite sud, vers la côte de
Zanzibar.

© Pierre
Javelot

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