Wolf Biermann
Liedermacher, chansonnier
“Wolf post-anniversaire à la lueur des
bougies”
Wolf Biermann à Altona lors de son 75. anniversaire (photo : Vera Bischitzky)
Suite à une
correspondance entre Vera et Wolf,
j'ai traduit en français deux chansons
que Biermann a consacrées à sa grand-mère.
Les voici :
1
Dieu, bon Dieu du Ciel, écoute ma prière
Mon cri monte vers Toi comme au temps de l'enfance
Pourquoi mon pauvre père ne m'a pas piétinée
Quand, bienheureuse, je dormais dans le ventre de ma mère
A présent, vieille femme, me voilà grise et sourde
Ma courte vie fut faite de grandes privations
De durs combats, mon Dieu, pour quelques bouts de pain
J'ai crié "Paix" au milieu de ces grandes guerres
Et qu'ai-je eu ? Bientôt je serai morte
Ô Toi, Dieu, fais donc que le communisme gagne !
2
Dieu, crois-moi : jamais l'Homme n'y arrivera
Je me suis mise en quatre pour le Parti
Souviens-Toi, Karl Scholz se cacha chez moi
Avec ses armes, et je lui fis la cuisine !
Au travail, jour après jour, toutes ces corvées
Et puis Hitler, ça, je n'oublierai jamais
Comment notre Parti fut alors mis à genoux
Les meilleurs sont morts au camp comme des mouches
Les autres ont crevé à la guerre comme des bestiaux
Ô Toi, Dieu, fais donc que le communisme gagne !
3
Bon Dieu ! on se serait bien passés de celui-là
Ce Staline, il lui aurait fallu un attentat
Dieu, ce diable s'est presque comporté
Comme un fasciste - Désolée ! - dans l'Etat soviétique
Communiste lui-même, il a pourtant
Assassiné des millions de communistes
Asservi le peuple avec tout son pouvoir
Menti, la charogne, comme un arracheur de dents
Ce chien nous a fait mener une vie de chien
Ô Toi, Dieu, fais donc que le communisme gagne !
4
Cri du cœur (Prière jaculatoire)
Fais que mon Wolf bien-aimé ne finisse
Comme son père derrière les barbelés !
Fais que son esprit torturé s'en retourne
Vers le Parti qui l'a répudié
Et fais de notre Etat de Paix là-bas un lieu
Riche et libre afin que personne ne le quitte
Alors le Mur, aussi, sera démonté
Bienheureuse, Mémé Meume s’envolera au Ciel
Et n'aura pas compté sur Toi pour rien
Alors, Bon Dieu, le communisme gagnera !
Quand ma mémé était un bébé, y a quatre-vingt-huit années,
C’est alors que sa mère, tuberculeuse, au Ciel s’en est allée
Quand ma mémé était un bébé, son père était mécano
Dont la main droite fut arrachée, comme ça, en plein boulot
C’était par un lundi matin que sa main fut arrachée
Encore heureux que son usine paya la semaine en entier
Quand ma mémé était un bébé, toute seule avec papa
Le père laissa l’enfant crier et la gueule se soûla
Puis il partit dans la cuisine, et sur la grande armoire
Il y déposa tout en haut un petit banc en bois
Et sur le banc les deux valises, et sur la tour penchée
Il installa l’enfant de malheur au creux d’un gros duvet
Puis il s’en alla au bordel avec son reste d’argent
Pour y réduire à coups d’absinthe sa conscience à néant
Il rentra à la pointe du jour, bourré et arnaqué
Et constata que l’asticot ne s’était pas tué !
L’enfant dormait paisiblement en haut de la tour penchée
Alors il saisit de sa main le malheureux bébé
Et le prit doucement dans les bras et pleura tout son soûl
Lui brailla une petite berceuse, pleine de joie et d’amour…
Manquant lui arracher l’oreille, il jura de ne plus boire
Et comme il était mécano, de la gauche il jura
Cela fait tellement longtemps, si elle s’était tuée
Cette complainte, assurément, je n’aurais pu chanter
La vieille femme est toujours vie, et si tu vas à l’Ouest
Va donc la voir, salue-la bien du petit-fils à l’Est
Si elle te pose des questions et pleure sur le Mur
Dis-lui surtout qu’avant qu’elle meure, je vais la voir, c’est sûr
Quand tu lui parleras de moi, elle te fera des tartines
au saindoux et de la chicorée dans une tasse bleu marine
Peut-être qu’elle aura envie de te dire quelque histoire
Si elle est belle, reviens me voir, tu me la raconteras
[ Chansons traduites de l'allemand par Stefan Kaempfer ]