Gert Heidenreich

Im Dunkel der Zeit
(« Dans l’obscurité du temps »),

roman, 399 p., éditions Nymphenburger, 2007 

Ce roman policier est un livre plaisant à lire. L’action se passe de nos jours, au fin fond de la province allemande, près des frontières polonaise et tchèque, mettant en scène un personnage principal, l’attachant commissaire Swoboda, âgé d’une soixantaine d’années, qui enquête sur la mort violente d’un ami d’école, le galeriste et éditeur d’art Max Niehaus. L’assassinat de cet homme prend une forme particulièrement atroce puisqu’il est retrouvé mort avec un grand nombre de clous plantés dans le crâne. Cent pages plus loin, un second camarade de classe subira lui aussi un sort peu enviable, puisqu’il est retrouvé dans une barque avec la gorge tranchée à la machette et les mâchoires écrabouillées. Comme d’autres camarades de lycée du commissaire, dont le directeur du journal local, Volker Winkels, vivent dans cette même petite ville de Zungel, le lecteur ne cesse alors de se demander sur qui tombera le meurtre suivant. Le commissaire va également entretenir une liaison quelque peu « déplacée», étant donnée la situation de deuil et l’éthique policière, avec la compagne du galeriste assassiné, la belle et jeune Martina Matt, fille d’un amour de jeunesse du commissaire, qui peu après le début de cette liaison va mystérieusement attenter à ses jours. – Le personnage principal Swoboda est de toute évidence un ancien « soixante-huitard » ou « hippy » qui, malgré une longue carrière dans la police, conserve quelques traces de ses « illusions » de jeunesse et tente d’échapper à la grisaille du fonctionnariat et à la routine policière en exerçant une activité annexe d’artiste peintre, l’ami galeriste lui ayant d’ailleurs proposé une exposition de ses œuvres. Cette particularité donne lieu à une description très « colorée » des personnages et décors, puisque les pensées du commissaire à propos des gens rencontrés font parfois état de détails picturaux et de précisions quant aux couleurs qu’il utiliserait pour les peindre. Par ailleurs, les descriptions peuvent être très techniques, comme celle de la machine identifiée par les services de police, qui avait servi à planter les clous dans le crâne de la première victime.

Le texte est écrit dans une langue relevée, nuancée, et les dialogues sont souvent courts et pertinents. Beaucoup d’histoires de famille et de destins entrecroisés jalonnent ce récit, également entrecoupé de missives présentées en italiques et adressées sans nul doute au commissaire par l’assassin lui-même, qui témoigne à cette occasion d’un certain savoir sur l’enquêteur, les habitants de la ville de Zungel et leurs histoires personnelles. On sent que le rédacteur de ces lettres, qui se présente comme un poète plus ou moins maudit, éprouve beaucoup de haine vis-à-vis des gens de Zungel et du commissaire. Après la cérémonie funéraire du galeriste Niehaus, à qui les honneurs sont rendus par les notables et le maire de la ville, le lecteur découvre une autre de ces lettres, où l’assassin potentiel déclare avoir assisté à cette cérémonie et prétend également surveiller les faits et gestes des enquêteurs, tout en narguant le commissaire en mentionnant certaines fausses pistes qu’il aurait lancées. Comme cette affaire criminelle sort tout de même de l’ordinaire, le commissaire se voit chapeauté par une certaine Michaela Bossi mandatée par l’instance supérieure de la police allemande, l’équivalent du SRPJ français, le LKA (Landeskriminalamt), à qui il doit rendre des comptes. La hiérarchisation des services de police allemands est d’ailleurs décrite avec beaucoup de finesse et d’ironie. Deux hypothèses sur l’assassin sont alors évoquées : Il peut s’agir d’une personne liée aux victimes par un passé commun : il faut alors rechercher l’identité de l’assassin dans l’histoire personnelle et relationnelle des différents personnages ; ou bien, selon Michaela Bossi, il peut s’agir d’un professionnel parce qu’il ne laisse aucune trace. Un profileur mandaté par le LKA dresse d’ailleurs le portrait robot d’un homme entre quarante et cinquante ans qui, contrairement aux apparences, ne serait pas un détraqué mais calculerait froidement ses crimes. Une piste, qui semble consolider cette deuxième hypothèse, mène à Prague, où l’assassin se serait procuré les couteaux pour le premier crime. Pour la première hypothèse, on évoque également l’époque nazie, où les crimes pourraient prendre leur source, avec le dépouillement en 1937 d’un habitant juif de Zungel, un certain Leo Staff. - On retrouve ensuite l’ancien professeur des camarades d’école, le vieillard Stehling, victime d’une attaque à la machette à laquelle il succombera par la suite, ainsi qu’un nouveau cadavre, un tchèque, qui semble corroborer la piste praguoise et l’hypothèse du tueur à gages. –  Puis, cent pages avant la fin de ce roman de quatre cents (petites) pages, à la manière d’une surprise inhabituelle pour le genre policier, le lecteur se trouve soudain confronté à l’assassin, qui a en effet engagé un tueur à gages pour accomplir ses forfaits motivés à la fois par la vengeance et le chantage : Il s’agit du directeur de journal Volker Michels, qui était au courant de l’affaire du dépouillement de Leo Staff, faisant chanter les notables de la ville qui s’étaient ainsi enrichis. Il éprouve également de la rancœur vis-à-vis du galeriste Niehaus, du vieux professeur Stehling et du commissaire Swoboda parce qu’ils s’étaient moqués de ses prétentions de poète, qui font en effet état d’une certaine folie des grandeurs puisque le journaliste Michels prétend dépasser les plus grands poètes allemands contemporains comme Gottfried Benn ou Hans-Magnus Enzensberger, s’appelant lui-même, probablement à titre posthume,  le « Hölderlin de Zungen ».  La prochaine victime à son programme est le commissaire Swoboda en personne. – On raconte ensuite l’assassinat de Leo Staff et de sa famille à Prague, voici soixante-dix ans, par des notables de Zungen, qui craignaient qu’il revienne afin de réclamer ses biens. Puis on évoque toute l’histoire de cette famille juive à Zungen, retrouvée dans un dossier du vieux professeur, à présent décédé des ses blessures. – D’autres révélations suivront, et le suspense est maintenu jusqu’à la fin de ce roman noir très inspiré puisque le commissaire reste sous la menace d’un assassin non encore identifié par les services de police.

Né en 1944, Gert Heidenreich est l’auteur de romans, dont Adieu à Newton (Rivages, 2000), de nombreuses pièces de théâtre, dont Majorité pénale (l’Arche), d’essais et de poésies. Il a obtenu un certain nombre de prix littéraires en Allemagne (entre autres les prix Grimm et Marie-Luise Fleißer) et fait également des voix à la radio, à la télévision et pour des livres sonores. Entre 1991 et 1995, il était président du P.E.N. allemand. Vivant près de Munich, il est actuellement membre de l’Académie des Beaux-Arts de Bavière.

L’adaptation française de ce roman ne serait pas chose aisée. Maints détails techniques, et notamment la description pointue de la hiérarchie policière allemande avec ses différents grades et titres, ainsi qu’une langue nuancée avec un vocabulaire très riche réclament un savoir-faire assez conséquent. Si, comme on peut le conseiller, ce roman était traduit en français, une collaboration avec l’auteur et l’éditeur s’imposerait pour travailler à une adaptation qui éviterait la prolifération des « notes du traducteur », toujours gênantes pour l’harmonie du texte et de la lecture. -

SK.