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Rony Brauman, 2007 - photo © Grégoire Lyon

Deux ou trois choses pour démystifier  le Darfour,

par Rony Brauman

 

- Notice -

 

   Au moment où le TPI vient de lancer un mandat d'arrêt international contre le Président du Soudan, Omar al-Béchir, il est utile de revenir sur l'histoire et la nature de la guerre du Darfour. Si on ne sait comment ni par qui ce mandat pourra être appliqué, certains dans la presse occidentale se félicitent du seul fait que désormais le Président al-Béchir ne pourrait plus dormir tranquille!

Cependant, une conséquence immédiate et néfaste d'une telle affirmation du bon droit par la Justice Internationale concerne entre 1 et 1,5 million de réfugiés et de déplacés qui dépendent, pour leur besoins primaires, du déploiement impressionnant des ONG humanitaires qui viennent de se voir privées de leur moyens et renvoyées du Soudan. La noble décision du TPI semble avoir rompu l'accord fragile qui permettait aux ONG et aux forces Inter-Africaines de travailler dans ce pays où le gouvernement se sent aujourd'hui trahi et méprisé.

   Voici donc une interview de Rony Brauman, enregistrée en 2007, au sujet du Darfour qui nous permet de mettre en perspective les événements au Soudan et la situation qui prévaut là-bas, dans le plus vaste pays d'Afrique dont ni les images télévisuelles ni les reportages éclairs ne rendent compte efficacement de la complexité.

R. Brauman est professeur à l'Institut de Sciences Politiques de Paris et ancien président de l'ONG Médecins Sans Frontière dont il reste un conseiller. MSF s'oppose depuis longtemps à Médecins du Monde et au collectif Urgence Darfour/Save the Darfour —ONG qui militent pour un interventionnisme que les acteurs sur le terrain dénoncent comme susceptible de provoquer des dommages collatéraux considérables. - G.L.

 

Grégoire Lyon : Entretien avec Rony Brauman
(Paris, mercredi 13 juin 2007)

~ Avertissement ~

Nous publions cet interview inédite dans l'urgence et avec un double but.

Que par un geste magnanime le gouvernement du Soudan laisse les ONG qui ne sont pas politiques et n'ont aucune autorité judiciaire, continuer d'aider les populations soudanaises sans distinction, qui en ont besoin.

Que le TPI, dans un souci pragmatique et afin de conserver son aura d'équilibre et d'équité, sursoit à lancer son mandat d'arrêt contre le Président du Soudan. [*0] - G.L. (mars 2009)

 

Première partie : La genèse et la nature du conflit.

GL :  Rony Brauman, merci de nous recevoir pour réaliser cette interview. Pouvez-vous nous présenter le cas du Darfour dont on parle depuis un certain temps, et avec une intensité particulière ces jours-ci ? Et peut-être rappeler aussi d'autres conflits qu'il y a eu au Soudan et en Afrique, afin de mettre en contexte cette tragédie dont les images et les témoignages nous émeuvent tant.

Rony Brauman :

Au Darfour se déroule une guerre qui oppose un certain nombre de mouvements armés insurrectionnels au gouvernement. Cette insurrection s'est dressée il y a maintenant cinq ans. Elle a commencé en 2002, mais de façon vraiment militarisée en 2003, au moment où la guerre du Sud Soudan s'est terminée. Les opposants du Darfour se sont alors aperçus qu'en prenant les armes, on obtenait un certain nombre de choses qui n'aboutissaient pas lorsqu'on tentait de les obtenir par la négociation ou par la simple demande.

Il y a donc un lien politique entre ces deux conflits. John Garang [1], le leader de la guérilla du Sud, a été en quelque sorte un modèle pour la Soudanese Liberation Army, la SLA, qui d'ailleurs tire son nom de la SPLA, ou South People Liberation Army, la principale armée du Sud Soudan. Et ce lien entre ces deux guerres s'est encore renforcé par le fait que les milices gouvernementales, qui combattaient dans le Sud, ont été libérées de cette tâche du fait de la paix qui s'y est installée, et sont allées, ou sont retournées à l'Ouest.

Il y avait à l'origine, au Darfour, à la fois une légitimité du combat, des objectifs clairs, des raisons tout à fait justifiables de se rebeller. Et il y avait aussi des moyens militaires, qui d'un seul coup à ce moment-là, commencèrent à être rassemblés de part et d'autre.

Le conflit a éclaté, et la guérilla a marqué des points tout à fait considérables. On oublie qu'à l'été 2003 les rebelles ont réussi à détruire une bonne partie de l'aviation soudanaise, qui était stationnée à El Fasher —ville qui est à la périphérie du Darfour, du côté de Khartoum. Mais c'est cette efficacité militaire qui a aussi entraîné une réaction totalement disproportionnée de la part du gouvernement soudanais. Ce dernier a en effet réagi en utilisant les techniques classiques et meurtrières de la contre insurrection —à savoir attaques indiscriminées contre les civils collectivement soupçonnés d'être des soutiens de la guérilla, destructions de villages, déplacements de populations, destructions de récoltes, stratégies de terreur. Et c'est ce régime de violence qui a prévalu pendant les 18 premiers mois du conflit.

GL :  C'est donc de 2002 à 2004 qu'ont eu lieu les combats les plus violents au Darfour ?

Rony Brauman :

Tout à fait. Et puis, à partir de 2005, on est passé à quelque chose d'autre. Le gouvernement contrôlait une bonne partie du Darfour, la guérilla en contrôlait d'autres. Les populations qui ont dû être déplacées par le gouvernement, l'avait été, et c'est un régime de conflictualité beaucoup moins violent et beaucoup plus diffus qui s'est installé à partir de 2005.

Ce coté disséminé s'est encore accru avec le traité de paix conclu en 2006, le Darfour Peace Agreement, qui a entraîné des divisions, une fragmentation des mouvements de guérilla. Une partie, la SLA-MM, a accepté et signé ce traité; l'autre - et la séparation s'est faite à ce moment-là -, la SLA-AWN [2], a choisi de continuer la lutte armée. Cette dernière a rejoint un certain nombre d'autres groupes dans le cadre d'un "front", le National Redemption Front, NRF, qui lui-même s'est divisé par la suite.

A partir de 2005 on a donc une fragmentation, en 2006 l'accord de paix, et aujourd'hui on a une constellation de groupes armés qui exercent la violence et parmi lesquels il n'est pas facile de trancher entre milices, coupeurs de route, bandits, et groupes claniques agissant pour leur propre compte. Ce qui entraîne une situation d'insécurité et de violence généralisée, mais avec des taux de mortalité —pardonnez-moi cette expression un peu froide mais il faut bien avoir une mesure quantitative—, d'environ 200 par mois, selon les évaluations qui ont été faites par les agences humanitaires et les agences de l'ONU.

Dans la première phase de la guerre au Darfour, on en était à 10.000 par mois, en moyenne. On est donc passé de 10.000 à 200 par mois, il est utile d'avoir ces chiffres en tête pour mesurer la différence de régime de violence entre ces deux périodes. Le bilan humain, pour l'instant, est évalué environ à 200.000 morts. Un tiers du fait d'attaques directes, —la mortalité par armes à feu en gros, et deux tiers par attrition, c'est-à-dire par les conséquences du conflit : des gens qui ont fui, qui étaient malades et n'ont pas pu se soigner, qui avaient faim et étaient affaiblis, et qui sont morts dans des conditions affreuses.

Aujourd'hui on en est là. On observe une situation d'insécurité assez générale, avec d'importants regroupements de population dans les villes des garnisons qui sont sous le contrôle du gouvernement. Ce point est en soi un argument déterminant et définitif, me semble-t-il, contre la thèse d'un génocide perpétré par "les Arabes du Nord" contre "les Nordistes du Sud-Ouest" ( les Soudanais de l'Ouest). Car des gens qui vont se réfugier sous l'égide de ceux qui voudraient les massacrer, ça ne se voit pas tous les jours !

GL :  Donc les populations sont venues se réfugier d'elles-mêmes autour des centres principaux, où elles savent qu'il n'y aura pas trop de combats ou d'insécurité ?

Rony Brauman :

Voilà, autour des villes de garnison. On imagine mal les Tutsi rwandais aller se réfugier auprès des garnisons de l'armée rwandaise en 1994. Leur sort aurait été immédiatement scellé — ils auraient été massacrés.

Là au contraire, non seulement ils trouvent une protection, ils sont à l'abri de la violence, mais en plus, ils bénéficient d'un déploiement humanitaire considérable, avec des fournitures de vivres, de soins, avec des écoles, de l'eau. Ils ont de quoi survivre — ce n'est pas une vie ordinaire, ce n'est pas une vie défendable, c'est tout de même la vie. Et, on en est là. Le problème qui se pose aujourd'hui, c'est bien entendu de réduire encore la violence, de rassembler les groupes pour arriver à un compromis, et de commencer déjà à penser au retour des populations dans leur ville et dans leur village. C'est cela l'enjeu politique de première importance, et les débats autour de génocide/pas génocide sont totalement périmés, cela n'a absolument plus lieu d'être.

2— La vision occidentale du Darfour.

[ Pourquoi le Darfour est devenu ce qu'il est devenu aujourd'hui : un sujet de ralliement pour l'appel à l'intervention internationale au nom de l'urgence humanitaire, un motif de pression envers le gouvernement soudanais mais aussi un sujet de tension entre différentes ONG ? Il apparait que plus on s'approche du terrain moins les humanitaires prennent une position tranchée sur cette question qui semble exiger beaucoup de circonspection. ]

 

GL :  Il semble donc que ce qui caractérise le mieux notre vision du Soudan en Occident, et en France par exemple, c'est le fait que, malgré nos bonnes intentions, nous connaissions très peu ce pays et son histoire. D'abord il y a un retard vis-à-vis de l'intensité des combats, qui a donc nettement baissé aujourd'hui par rapport aux années 2003 et 2004. Ensuite on rapporte des histoires entre les Arabes musulmans et les Noirs non musulmans, alors qu'ici les Noirs aussi sont musulmans de longue date. Par contre c'était peut-être la première guerre du Soudan qui, elle, aurait eu un caractère un peu raciste, la guerre du Sud Soudan qui a duré beaucoup plus longtemps, entre les Nouba et les nordistes ?

Rony Brauman :

La guerre du Sud, contre les Nouba et les Dinka, a duré en gros 40 ans, en deux phases de 20 ans.

La guerre du Sud était en effet une guerre dont la dimension ethnique, culturelle et religieuse était prédominante. On pourrait même dire qu'elle était surtout religieuse, du fait d'abord que les populations du Sud sont essentiellement chrétiennes et pour une partie, animistes; et ensuite parce que ce qui a provoqué le conflit, c'est surtout l'imposition de la Charria en 1984, pas par le régime islamiste d'ailleurs, mais par le régime de Neymeiri ! C'est bien un pouvoir pro-occidental —d'abord socialiste puis pro-occidental — de Neymeiri qui a installé la Charria au Soudan. Ce ne sont pas les islamistes qui l'ont installé, bien qu'ils l'aient continuée, bien entendu.

GL :  Peut-on dire que Neymeiri pensait trouver une justification, et une base politique en imposant la charria ? C'est assez drôle de voir un régime qui était donc progressiste, marxiste, et qui a voulu à un moment donné s'appuyer sur la Religion, un peu comme dans d'autres pays progressistes de tradition musulmane.

Rony Brauman :

Oui, comme le FLN en Algérie, comme pas mal d'autres mouvements. Bon, mais ce problème de la Charria marque une différence importante d'avec le Darfour. D'un autre côté, la guerre au Sud était quand même largement une guerre d'intégration et non pas de désintégration. C'était une guerre dans laquelle les Sudistes voulaient voir leurs droits reconnus, notamment leurs droits culturels et religieux, mais réclamaient aussi leur intégration dans le pays, avec le partage de la rente pétrolière, et le partage de la décision politique. Et de ce point de vue-là, ce conflit ressemble à celui de l'Ouest : car le conflit du Darfour est aussi une guerre d'intégration, de construction nationale, de revendication du partage des ressources et des décisions politiques, et non pas une guerre de sécession, une guerre qui viserait à détacher le Darfour de l'entité nationale soudanaise.

Mais leur grande différence c'est que la guerre du Darfour oppose des Soudanais qui sont, si on veut, ethniquement homogènes, — pour autant qu'on accorde à ce concept d'ethnie une certaine importance…, disons que c'est une dimension parmi d'autres dans de nombreux conflits; — et surtout que tous les Soudanais, le Sud mis à part, sont des Noirs arabisés, islamisés depuis longtemps. Donc il n'y a aucune dimension religieuse au Darfour.

La thèse selon laquelle, à l'intérieur de ce conflit entre musulmans, s'opposeraient des intégristes et des modérés, des tenants de l'Islam politique fondamentaliste, à des tenants d'un Islam laïc, est totalement inconsistante, elle ne résiste pas à un simple examen des faits. Il y a des islamistes des deux côtés ! L'un des mouvements de guérilla du Sud, le JEM, le Justice and Equality Movement, est d'ailleurs inspiré par Hassan el-Tourabi, qui est loin d'être un militant laïc, comme chacun sait, mais un islamiste classique qui était aux côtés du régime soudanais, mais qui a rejoint la guérilla dans les jeux politiques complexes qui sont ceux du Soudan.

Rien de tout cela ne tient debout, c'est un conflit éminemment politique dans lequel encore une fois la question du partage des ressources, de toutes les ressources, des décisions, et des biens matériels, est absolument centrale, ce qui est le cas de tout conflit politique interne.

Le niveau d'intensité de ce conflit est certes très élevé, et il n'est pas faux d'affirmer que le Darfour est une crise majeure, mais, malheureusement pour l'Afrique, ce n'est pas le premier. Il y a quelques années, le conflit du Congo-Kinshasa par exemple, a été infiniment plus violent. La mortalité au Congo était dix à quinze fois plus élevée, dans le même laps de temps, que celle qui a été observée au Darfour.

GL :  Peut-être que l'opinion y a fait moins attention à cause de ce qui s'est passé avant, au Rwanda, et qui a été la cause d'un grand désordre dans la sous-région ?

Rony Brauman :

Oui, c'est le Rwanda, enfin disons que c'est d'abord le régime pourrissant du maréchal Mobutu, qui a transformé son pays en une sorte de champ de ruines, et qui a préparé effectivement une conflictualité gigantesque dans le pays. Et puis la mèche a été allumée par les Rwandais et les Ougandais qui ont envahi le Congo en 1997. Et entre 1997 et 2002, on estime qu'il y a eu au moins trois millions de morts dans ce pays —dans les mêmes proportions [qu'au Darfour]: entre un quart et un tiers de morts par violence directe, et le reste par violences indirectes : épidémies, malnutrition, famine, épuisement.

Et si l'on va au Burundi, on a un régime de mortalité à peu près équivalent à celui du Darfour, on estime qu'il y a eu 200.000 morts pendant ce long conflit des années 1990. C'est un conflit qui est d'ailleurs en train de s'apaiser. On n'en parle pas, on ne parle pas du conflit du Burundi, mais là encore, il ne faut pas se tromper, c'est un conflit qui a mobilisé la communauté internationale organisée. Les Nations Unies avaient un représentant, les ONG étaient là, les diplomaties sont intervenues. Les pays voisins du Burundi sont également intervenus, certains d'ailleurs sur le mode de l'ingérence, comme la Tanzanie, d'autres sur le mode de l'apaisement, comme l'Afrique du Sud bien qu'assez mollement, mais tout de même.

Cela pour rappeler que lorsqu'un conflit ne fait pas la Une des journaux, il n'est pas pour autant oublié, comme on le dit trop souvent avec un poncif passe-partout, il n'est pas, en général, oublié de ceux dont le rôle est précisément de s'y intéresser, les instances internationales, les diplomaties nationales, et les ONG. Je dis cela pour tordre le coup à ce cliché, que d'ailleurs on a vu réactiver au moment du Darfour, parce que cela faisait déjà 3 ans qu'il y avait une énorme mobilisation sur le Darfour. Pourtant j'ai eu à répondre à des dizaines et des dizaines de questions et d'interviews qui commençaient presque rituellement par ce cliché déformant :

« Le Darfour, ce conflit dont personne ne parle…»

Alors que tous les jours on en parlait, mais on commençait à en parler en disant "personne n'en parle".

Cela fait évidemment partie des postures avantageuses qu'on adopte pour montrer que personne n'en parle mais que "nous", on en parle, on crève l'écran du silence, on dévoile ce que personne ne veut voir, etc. — toujours la même posture héroïsante et avantageuse.

Non, en réalité on en parle et on agit, mais ce n'est pas parce qu'on en parle et qu'on agit, que l'on est pour autant en mesure de faire cesser ce conflit. Si le monde, et les gens dans le monde qui ont les clés pour ça, savaient éteindre un conflit, il n'y aurait pas de guerre en Irak, il n'y aurait pas de guerre au Proche-Orient, il n'y aurait de guerre nulle part. On aurait établi la paix partout. La vérité est qu'on ne sait pas faire la paix.

On sait aider des acteurs de guerre à accélérer l'obtention d'un compromis, mais on ne sait pas imposer la paix, cela est hors de nos capacités, j'entends par là les capacités de la communauté internationale organisée : l'ONU, les agences régionales, etc.

 

        3— La récupération idéologique de la guerre au Darfour.

 

GL :  Que pensez-vous des initiatives du collectif Urgence Darfour et de B. Kouchner ?

Rony Brauman :

Je pense que c'est une fabrication propagandiste. C'est de la "Com", c'est de la dénonciation de crimes qui ont été commis bien avant qu'ils commencent à en parler. Le collectif Darfour est né deux ans et demi après la fin de première phase de cette guerre. Mais il a fait comme si, depuis le début de cette guerre, le régime de violence était resté inchangé et que l'on en était toujours à 10.000 morts par mois, et qu'on assistait au " premier génocide du 21e siècle"— ce qui est la formule consacrée par le Collectif Darfour, dont Bernard-Henri Lévy est l'un des porte-parole les plus médiatiques, parce que ce que dit BHL est plus entendu que ce que disent les autres.

Pour moi c'est de la pure propagande, et une propagande qui s'inscrit dans une démarche idéologique qui est celle des néoconservateurs américains. Leur idée, c'est de mobiliser les forces de la démocratie contre « l'islamo-fascisme » en marche —je mets islamo-fascisme entre guillemets.

Khartoum étant une capitale islamiste, elle est de facto prise pour tête d'affiche de "l'islamo-fascisme", et il faut donc lui livrer un combat sans merci. On voit bien que les Darfouriens ne sont là-dedans qu'un prétexte, un pion dans un jeu propagandiste beaucoup plus vaste.

Et d'ailleurs on retrouve au sein du Collectif Darfour des gens comme Jacky Mamou [3] , François Zimeray, André Glucksmann, Pascal Bruckner, Bernard-Henri Lévy, Bernard Kouchner, qui étaient tous des soutiens actifs déclarés — ça au moins ils avaient l'honnêteté de le déclarer, de la guerre d'Irak, et donc de la politique de G.W. Bush, en 2003. Un soutien aux néoconservateurs sur lequel d'ailleurs ils ne sont jamais revenus. Et l'effroyable mortalité consécutive à cette invasion ne semble pas du tout les troubler.

Les morts en Irak semblent tout à fait subalternes. On ne les compte pas, on ne s'indigne pas, on ne dévoile pas de grands secrets, on laisse ça comme ça. Du moment que le train de la "démocratie" est en train de rouler en Irak, les dégâts qu'il fait sont de peu d'importance. La guerre à l'islamo-fascisme elle, elle compte, c'est ça qui, pour eux, est essentiel.

GL :  Les néoconservateurs déploient en effet une indifférence ciblée et une simplification terrible de l'histoire. Mais si leur vision réductrice vise aussi le Soudan, est-ce parce qu'elle  prend sur les bases des différences d'ethnies en Afrique ? Il est vrai qu'il y a des populations nomades qui luttent contre des paysans, cela se passe même au Mali, et c'est le modèle d'une très ancienne opposition entre nomades et sédentaires, qu'ils soient Noirs ou Arabes ou Touareg. Il y a des ethnies qui semblent avoir une longue histoire de conflits, tout en ayant une longue tradition de vivre ensemble.

Rony Brauman :

Tout à fait, mais d'abord l'opposition entre nomades et sédentaires ne recouvre pas totalement l'opposition entre les différents groupes armés, car il y a des nomades qui se livrent à des conflits armés entre eux, et à de violentes escarmouches. Ne serait-ce que parce que les pâturages sont rares. C'est d'ailleurs depuis la sécheresse des années 1980, que ces violences n'ont cessé d'augmenter, dans le cadre d'une raréfaction des ressources, et donc de cette traditionnelle lutte pour des ressources devenues de plus en plus rares.

GL :  En effet, le long du Niger aussi, les bêtes doivent alors se coller au fleuve, se rapprocher des plus maigres espaces verts qui bordent les points d'eau.

Rony Brauman :

Donc cela existe entre nomades, et de la même façon aussi chez les sédentaires, donc cette opposition entre Noirs et Arabes est artificielle. Même si une confusion est rendue possible, parce qu'au Darfour on parle volontiers des Arabes, mais ces "Arabes" sont entendus comme ceux qui viennent de l'extérieur, les non-Darfouriens, —c'est une façon commode de désigner les ennemis. Mais il ne faut pas se tromper, car dans la pratique, là-bas, il n'y a pas de musulmans blancs et de musulmans noirs, ce sont des gens qui sont d'apparence physique tout à fait comparable, les modes de vie sont comparables et ils partagent des cultures et des traditions qui se côtoient depuis très longtemps. Pour comprendre les faits au Darfour, il ne faut pas s'attacher à ces visions réductrices, et admettre que les Soudanais peuvent, aussi bien que d'autres, se livrer des combats politiques sans passer par la case ethnique, raciste ou religieuse.

( Propos recueillis par Grégoire Lyon )

 

- Notes - 

[*]    Pour sa défense, le Président Al-Béchir a rappelé que bien des génocides avaient eu lieu, et, visant les USA, il a rappelé le cas des Amérindiens et celui du Viêt-Nam. Mais point n'est besoin de remonter si loin ni d'employer le terme fatidique de "génocide". Il suffit en effet de se pencher sur les errements de la guerre d'Irak, qui a sans doute fait plus de quatre fois plus de morts que le conflit du Darfour. (cf Opinion Resaearch Business 2008)

[1]       John Garang, était le chef et l'ambassadeur reconnu du principal mouvement de libération du Sud Soudan, le SPLA. Selon les accords de paix enfin signés à Nairobi en janvier 2005, il est devenu Vice Président du Soudan le 9 juillet suivant. Malheureusement, John Garang est décédé le 30 juillet 2005, dans un accident d'hélicoptère qui l'empêcha donc de jouir de la paix, après 22 ans de guerre civile.

[2]       L’accord de paix pour le Darfour, signé le 5 mai 2006 à Abuja (Nigeria), a provoqué l’éclatement des mouvements rebelles au Darfour. L'un d'entre eux, la SLA-MM, a signé et accepté ce traité, l'autre, la SLA-AWN, ayant choisi de continuer la lutte armée, a rejoint divers autres groupes dans le cadre d'un "front", le National Redemption Front, NRF, comprenant également le JEM inspiré par H. el Tourabi.

 [3]       Jacky Mamou est président de Médecins de Monde, ONG fondé par B. Kouchner à la suite d'un désaccord avec MSF.

 

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   Grégoire Lyon, contact : greg@artpo.org

 
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