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ROMAIN

 

Le cycle, le ring de l’efficience

 

(essai)

 

 

Efficience scientifique, militaire, productrice, gestionnaire, politique peut-être, juridique ; partout, dans la société, la relation n’a de fin que d’être opérative, transformatrice ; elle est tout simplement devenue échange, efficience. Au long des chaînes des divers processus sociaux la voici décomposée en autant d’échanges ou de segments (de portiques) que le permet une démultiplication rationnelle et profitable. Au point que les procédures ou protocoles d'un rapport transactionnel semblent former le modèle (mode, modem, moyen) de la civilisation occidentale actuelle.

Mais comment rechercher et réaliser l’efficience en économie, terre même des échanges ? L’économie est pourtant le plus insaisissable des champs, le plus riche de valeurs aléatoires, le plus imprévisible, -tel le climat ; sur le plan des savoirs économiques actuels, tant d’analyses scientifiques, tant de modélisations ont été faites, qu’au final une sorte de non-loi générale a émergé, une incertitude (indétermination, impéritie) dont le libéralisme répond autant qu’elle trouve réponse en lui.

 

Au sein de cet univers de la perfection procédurale et de l’efficience se développe (donc) le monde de l’argent (autant une extrême capacité financière déploie la perfection procédurale, autant elle s’y déploie).

Un monde de l’efficience totale vient de s’incarner presque soudainement en allumant ici et là les constellations de la science, du politique, du juridique, du culturel ; un extraordinaire niveau de précision s’est fait jour dans les domaines concrets de la vie et des transactions sociales, de multiples procédures garantissant la qualité et la fiabilité des échanges (de biens, produits et services, de droits et pouvoirs, d'idées et de situations). Sorte de métalangage commun, d’universalisme qui se produit au moment où notre monde devient global et mondial à travers ses échanges. Comme si des protocoles universaux s’étaient substitués aux relations culturelles (ethniques, géographiques, sociales, personnelles, affectives...). Ce monde de l’efficience (de la transaction intégrale) joue comme un pôle tendanciel par rapport aux substrats de cet autre monde concret (ou : “réel”, -social, sentimental, etc.), qui s’avère curieusement comme celui des archaïcités, de néo-cultures, de la pauvreté, de l’anomalie.

 

À moins qu’à observer de plus près ces procédures de plus en plus rigoureuses (telles les dérégulations), l’on s’aperçoive que cette rationalisation du monde, cette volonté d'efficience, ne soit au fond que forme sans fond ; qu’ainsi, le protocole juridique soit rhétorique, que le politiquement correct soit un leurre, que l’efficience en affaires ne fasse qu’appauvrir les tiers, que la science se soit vu imposer ses objectifs, et que ce sur productivisme se fasse au détriment de tout le reste, plus particulièrement à celui d’une qualité affective.

Une efficience vaine, non par l’effet de quelconques antagonismes naturels (entre l'affect et le produit, entre science et application, profit et contrat, morale et politique, entre droit et loi), mais d’une part parce que la maîtrise des procédures (ou l'efficience modélisée) récuse la subjectivité même des personnes et/ou la spécificité culturelle (vernaculaire) des sites, d'autre part (ce qui d’ailleurs revient finalement au même) parce qu'elle n’est pas communément partagée (la plupart des biens de consommation relèvent d’une logique de prix non concurrentielle, l’offre et la demande étant partielles, ne concernant qu’une fraction des consommateurs).

Aujourd’hui, il semble qu’à partir de l’Amérique, la rhétorique du protocole exact et universel (qui articule entre elles les sphères distinctes du privé et du professionnel, du privé et du politique, du politique et du commercial...) consacre le triomphe du juridique (du procédural ou du protocole) sur le politique, sur fond d’une Histoire que l’on s'imagine désormais pouvoir maîtriser, -ce au nom d’une certaine volonté libéraliste.

 

Le cycle de l’efficience ne semble possible qu’en dehors de l’affectivité, qu’en dehors de l’Histoire passée, —implications affectives de l’Histoire, implications historiques de l’affect. Nous pensons : c’est une efficience leurre, issue de l’inaffectivité, et de l’an-historicité (ou d'une fausse réassurance des affects par la politique) ; c’est ce que je vais tenter d’exprimer (de suggérer), dans nombre de pages suivantes, en priant mon lecteur de bien vouloir pardonner les à-peu-près (ou les outrances), d’aller au-delà des contradictions, des redites, des assertions ; je ne fais que chercher ou que trouver quelques pistes de réflexion.

 

 

 • du libéralisme comme Bien et comme Mal

 

"Pourquoi le libre échange plutôt que l'économie dirigiste ?" s'est-on demandé ; il faut se rendre à l'évidence : parce qu'en multipliant librement les transactions (et en générant des profits) le libre-échange s'ouvre de lui-même à ses voies et ouvre ses occasions les plus favorables ; par rapport à tout échange contraint, l’échange libre coule de source, vivant, dynamique, spontané.

Au plan idéologique (politique, moral, existentiel, ...), et à moyen terme (50 ans ?), le libéralisme, parce qu’il engage aussi une dynamique politique, en l'occurrence, démocratique, pourrait même faire que soient disjoints l’individu social et l’individu économique : la réussite commerciale, la fortune personnelle ne vaudront que pour ce qu’elles sont, de stricts caractères économiques, et ne seront plus synonymes de valeur humaine ou de valeur sociale.

L’écrasement qui pèse aujourd’hui sur celui qui n’a pas "réussi" (position sociale/financière) cesserait ; de nouvelles dimensions humaines, de nouvelles possibilités sociales se dégageraient parallèlement au monde des échanges marchands. Et tout individu serait libre...

Peut-être même que l’écart, qui se creuse aujourd’hui entre un petit nombre de riches, de plus en plus riches*, et la majorité (relativement moins pauvre), plutôt que d'être structurel, n’apparaîtra que comme un phénomène transitoire lié à l’essor du libéralisme ; au delà même des idées d’un économiste de référence, Hayek (La constitution de la liberté, 1960) le libéralisme ne se serait pas encore généralisé, ni accompli [la généralisation du système devrait, à terme, réduire, avec l'inégal (la suprématie du self made man), l'inique (son exclusivité)].

Y a-t-il même exploitation, confiscation de la plus-value, inégalité ? D’ores et déjà, étant donné au sein du libéralisme la dynamique des entreprises, étant donnés l’effet rétroactif de la sphère de la consommation sur celle de la production et les équilibres sociaux-économiques qui s’instaurent dans la mise en œuvre de la production, on peut parler d’une logique de propriété collective des moyens de production (les agents de la production en étant les commanditaires,  usagers, actionnaires). Dans cette optique, le profit (rendu à tous) serait pour le coup réellement incitatif ou moteur.

 

A moins que ce ne soit l’inverse : jusqu'à aujourd'hui il ne l’aurait jamais vraiment été, puisque, pour la plupart, il n’y a de profit que relatif (ou nul profit), de salaire que pour survivre, à minima ; le profit, ce cœur du système, loin d'être général, ne touche en fait qu’une minorité [il est marginal, selon un libre échange restreint, vicié par ses lacunes, et par ses bavures (réseaux secrets d’entente, classes sociales, -argent noir, (invisible, fictif, recyclé..., hors contrôle social et de toute rétroaction de la consommation sur la production]. Ces marges constitueraient par excellence l'expression du libéralisme, les phénomènes illégaux (à quelle proportion dans l'économie ?) seraient endogènes ; l'argent (coïncidant désormais essentiellement avec la réussite personnelle sociale), ne serait qu’un signe vil et envahissant.

 

À regarder autour de nous, et à voir l’adhésion consensuelle aux valeurs de l'argent, l'on se dit que ce qu’il y a de plus banal forme notre demain. Le“nous nous changerons pour devenir le meilleur de nous-mêmes”, -le “bonheur” (de Platon à Saint-Just)–, s’efface devant le “nous sommes très bien comme nous sommes, comme le plus commun d’entre nous"” ; le bien commun se sera substitué au bien critique.

Totalitarisme : mise en place mondiale de standards ou d’équivalences au niveau des échanges idéologiques et marchands, avec des process politiques fondés sur la formation des compétences et des opinions (de même nature dans les régimes socialistes et capitalistes, selon les valeurs les plus communes, les plus étendues, -le tout à travers une plus grande intégration sociale).

L’on peut prédire l'homme du XXIe, semblable à nous (quoique plus métissé), encore plus confiant en lui que nous à présent en nous-mêmes, sera délesté de tout ultime doute quant au progrès qu’il aura produit. N’est-il pas déjà parmi nous ? N’est-il pas déjà devenu majoritaire, peuple de la démocratie mondiale, Big-brother mué en quatre ou cinq milliards de petits frères ?

 

* En 2000, mondialement, plus d'un million de personnes ont un million de dollars de fortune financière [selon l'étude de Merrill Lynch et Gemini Consulting : 7 millions ("high net worth individuals", dont 1,7 asiatiques) ont une fortune financière cumulée de 25 500 millions de dollars, et 55 000 personnes ("ultra high net worth individuals"), dont la fortune atteint 30 millions de dollars, cumulent 7900 milliards de dollars (dix fois la dette publique française)].

En France, en 2002  , 371 000 ménages possèdent un bien patrimonial équivalent ou supérieur à 4,5 millions de F.

USA : consommation des ménages = 2/3 activité économique

 

 

 

            ◊

 

 

            I  

l'échange, producteur de richesses         

 

Le principe socio-anthropologique est le suivant : chaque partie acquiert quelque chose qui pour elle a plus de valeur que ce qu’elle cède (ce qui est  échangé n’a pas la même valeur pour les deux parties) ; ainsi chaque partie s’enrichie-t-elle. On constate que l’échange (entre personnes, familles, groupes, sociétés) est immédiatement producteur : producteur de biens, producteur de lien social, affects ou solidarités ; -comme de sens, car une symbolique de l’échange double les échanges d’objets ou de biens réels et  détermine les rapports sociaux.

Mais, parallèlement, il faut postuler la mutualité de l’échange : la réalisation d’un bénéfice aux deux extrémités de l’échange ; ce double bénéfice est la pleine fonction sociale de l'échange (et fait coïncider la fonction sociale avec la satisfaction personnelle ; des objets d’or échangés par un primitif contre la boite d’allumettes d’un explorateur peuvent même former l’occasion d’un échange équilibré).

 

Ce principe de l'échange (d'un profit aux deux parties, d'une plus-value économico-sociale) a paru trouver son paradigme avec le potlach (ou le hau), par un contre-don plus riche que le don ; se déprendre de ses biens comme de soi, c'est ici amorcer le segment suivant, c'est réaliser par anticipation le consensus social. Mais y eut-il jamais eu une économie générale du don ailleurs que dans les vues quelque peu réductrices de Marcel Mauss, construites de plus sur des bases ethnographiques contestées aujourd'hui (tels les travaux théoricistes de Malinowski sur des cycles d'échanges marchands aux  îles Tobriand et sur la nature des obligations sociales résultant d'un système d'obligations et de dons, -Les Argonautes du Pacifique occidental, 1921) ?

 

En regard, cela revient à dire que le besoin ne forme pas la catégorie première (primaire) de l’échange ou de l’économie : les hommes n’ont pas des besoins qu’ils satisfont par des procédés économiques, mais ils entretiennent entre eux des échanges fondateurs d’économie ; la satisfaction des besoins s’inscrit sur l’horizon antérieur des échanges.

Cela revient à dire aussi qu'on ne saurait déterminer en aval la valeur en soi d'une marchandise ; il n'y a de valeur que de valeur d'échange, laquelle n'a donc de raison que celle d'un équilibre entre les parties (raison sociale confondant gain matériel et gain moral).

La valeur de la marchandise dans l’échange ne se situerait donc pas (même si elle peut en dépendre, quoi qu'en pensa  Marx) au niveau du travail accompli (ou de la rémunération de la reproduction de la force de travail), ni donc à celui du coût de production, mais elle est essentiellement flottante : au milieu.

 

 

• équilibre / déséquilibre

De plus grands maux encore sans la recherche de l’équilibre

 

De plus en plus étendu, le système de l'échange, -en temps que système économique principal-, entraîne des effets économiques massifs qui se répercutent sur le bien-être et le destin des gens ; et comme, dans son histoire, il enchaîne des crises, il s'est agi pour les économistes (et politiques) d'y parer, notamment en mettant en péréquation l’offre et la demande.

Tous les économistes recherchent de l’équilibre ; parmi eux, comme chacun le sait, selon comment ils voient la dynamique du système (heureuse croissance libérale, ou ogre fou du capital), aux uns les choses paraissent bien aller (ou devoir à terme bien aller) et l’équilibre possible, aux autres le contraire.

Reste que, de fait, les pratiques politiques de régulation (démocratico-libérales comme républicaines) et les théories économiques s'inscrivent sur fond de rapports de force : la croissance, en route depuis six siècles, est entrecoupée de rémissions, sur fond de guerres ou de luttes sociales (crises qui ne seraient autres que celles du crédit, et non celle de la rentabilité de la production ou des transactions).

Toutefois, observons déjà que la condition de l’équilibre est déterminante : sa mise au point, ou plus exactement son approximation, détermine nos salaires et nos conditions d’existence, telles notre habitat, notre nourriture spirituelle, nos rapports et nos mœurs (à côté des conditions du commerce et de celles de la production,  la sophistique financière qui tente de conjurer un perpétuel état d’instabilité, donne idée des difficultés).

Peut-on imaginer l’inexistence de tels rapports de force ?

Non, et c’est dire que l’équilibre des économistes est un peu une vue de l’esprit.

 

Au reste la question de l'équilibre est peut-être bien une fausse question, si tant est même qu'au fond les économistes, en parlant d'équilibre, ne considèrent pas une sorte de déséquilibre général ; tout l'intérêt et toute la supériorité du libre échange consistant dans son adaptabilité à l'imperfection des marchés (irréalité de la “concurrence parfaite”), -ou autrement dit consistant à rendre l'équilibre mouvant, à "mouvoir" l'équilibre (cf la problématique de Walras, 1874/1887).

 

 

•  inégalités et croissance des biens

 

La tradition du libéralisme (depuis Tocqueville jusqu’à Hayek, -et sa contre-culture : Marx, Keynes, ...) observe que la croissance des richesses engendre des inégalités (-et Hayek de conclure jusqu’à renverser la proposition, peut-être de la plus conséquente façon, que les inégalités génèrent la richesse).

De prime abord, cela parait évident : l’on ne saurait imaginer une production exponentielle de richesses sans que l’écart (structurellement fécond donc) ne se creuse entre ceux qui détiennent les nouveaux biens de la richesse, et ceux qui ne les détiennent pas (ou pas encore).

Dans le même temps les économistes de tous bords constatent que le système capitaliste, en suscitant une dynamique économique, développe les moyens d’existence du plus grand nombre. (Marx : « L’amélioration de la condition ouvrière est accroissement du capital, -il faut en convenir »).

 

Observons cependant d'une part, que le mérite n'en est pas uniquement imputable au système marchand du libéralisme : le progrès moderne relève aussi de la créativité scientifique (inversement l’innovation perpétuelle mise en évidence par Schumpeter ne produit pas nécessairement un progrès) et la croissance des biens ne se superpose pas nécessairement avec l'avancée technologique, quelles que soient leurs rétroactions réciproques.

Pour sa dynamique principale, c’est d’elle-même que la science tire son progrès, et "le progrès" ; le progrès n’est pas lié (mais relié, par l’innovation) au capital ; il naît de la recherche, d’une recherche pure, passionnée, où l’homme pousse toujours plus loin la plus chancelante de ses hypothèses, vers les plus sombres lointains inconnus. Certes, puisque aujourd’hui, tout ne fonctionne qu’avec de l’argent (des crédits), où la foi elle-même est convertie en créance, l’on serait tenté d’attribuer les découvertes scientifiques aux crédits nécessaires à leur réalisation ; plus ces crédits sont grands, plus ces découvertes occupent une place centrale dans notre vie*.

à l'instar, l'on conviendra qu’il est plus juste de tenir que la qualité de nos conditions d’existence tient d'abord à notre souci de cette qualité, et non aux intimations de la production consumériste.

Et observons, d'autre part, qu'un tel mérite est aussi une limite, car on ne saurait réduire la qualité sociale de l'existence à celle des conditions matérielles ; dire que le travail, mis en forme pour la généralisation des échanges, produit la richesse, c'est seulement dire que la société croît en biens, en technologie et en confort.

De même, lorsque les économistes affirment que la mondialisation du capitalisme permet aux sociétés ‘émergeantes’ de s’industrialiser et de s’engager ainsi sur la voie d’un progrès vers le confort matériel des masses, notons qu'il s'agit encore de deux phénomènes différents (sinon distincts) : le renouvellement capitalistique des biens dans la société de consommation, et la diffusion industrialisée et non concurrentielle des objets et techniques.

À quoi on peut aussi ajouter ces réserves : la croissance de la société de consommation, ce fut aussi la démultiplication-division  des salaires [depuis la ‘libération’ de la femme, deux salaires (nécessaires) au lieu d'un seul pour un foyer] ; des rendements agricoles démultipliés mais au prix de l'extension des surfaces cultivées (ou un investissement nécessaire plus élevé que le taux de rendement  -cf. Club de Rome) ; ou encore, en parallèle de l'industrialisation, une qualité existentielle dégradée (saveurs de la nourriture ou arts divers de l'habitat, crises écologiques).

Et de même que l'on doit, au plan des idées, distinguer ce qui dans le progrès technique et matériel est né de la science et/ou de l'industrialisation et ce qui relève des performances d'un système marchand, l’on doit le faire pour ce qui en est de leurs effets néfastes (la pollution, la sous-culture de masse). Reste qu'au plan des faits capitalisme et industrialisation sont étroitement intriqués, ou semblent même s'impulser l'un l’autre.

 

Mais, à ce point du raisonnement, que nous importe que, de fait, l’accroissement des biens et du confort matériel de chacun et de tous tire tout autant du progrès scientifique, de l’industrialisation, ou de la productivité du capitalisme ; et qu'importent les réserves ci-dessus (presque des figures de style) qui ne sont qu'incidentes : l'on ne saurait nier les progrès matériels acquis au cours des siècles.

 

* Selon Novalis c’est la puissance de la guerre qui anime l’innovation, —ses intérêts produisant nos connaissances (c’est vrai d’internet).

 

 

• société marchande

 

Autonomisation de la sphère économique, ou "structuration complète du système social par les lois de l'échange marchand" (J. Adda, Alternatives économiques  HS n°33 -1997). Considérons d'abord cet aspect marchand : d'un échange social producteur de richesses et de la multiplication des échanges (structurée par un équilibre et/ou un déséquilibre tendanciels), il sort donc un bien général ; mais il y a une grande distance, du paradigme du potlach, ou du hau (un contre-don plus grand que le don), au principe mercantile (un profit individuel tiré de la transaction, -quand bien même ce profit reviendrait à tous).

 

Sous ce rapport, partisans ou adversaires historiques du système du libre échange nous  fournissent eux-mêmes un précieux indice : s'il sort un bien général, c'est qu'il y a un intérêt égoïste.

Adam Smith : "nous ne nous adressons pas à l'humanité du marchand, mais à son égoïsme"  (ou :"en poursuivant son propre intérêt, l'homme ne réalise plus souvent que celui de la société, plus réellement que s'il se proposait de le promouvoir").

Hayek : "Dans l'ordre du marché, chacun est conduit, par le gain qui lui est visible, à servir des besoins qui lui sont invisibles" (parallèle à la fameuse thèse que l'inégalité croissante entre riches et pauvres tire cependant  à terme la moyenne vers le haut).

Même chose avec Tocqueville.

(Ne parlons pas encore ici de Marx, pour qui  le capitalisme libéral, mis à part ses mérites économiques, génère une société "qui n'est guère fraternelle", ni de Max Weber qui voit dans l'échange marchand "une abomination pour tout système d'éthique fraternelle"...).

 

Chez tous, la croissance globale (et sa redistribution, fût-ce sous la forme d'une dialectique sociale) tire de ce ressort, d’un égoïsme individuel ; mais, comme tous ne veulent ancrer leurs analyses et recommandations qu'aux seules raisons économiques, ce ressort n'est considéré que comme attribut, mais non comme qualité.

C'est là couper l'économie de l'anthropologie sociale, -rupture qui procède peut-être d'ailleurs de cette vieille histoire : l'illusion des classiques qui voient dans le commerce le contraire de la guerre (‘il adoucit les mœurs’), mais non leurs similitudes ou leur étroite parenté, -pourtant flagrantes aux XVIe et XVIIe siècles (colbertisme).

Avec Hobbes et Rousseau, c'est bien du lien social, remis au centre, dont il est question, Rousseau voulant le restaurer, contre le concurrentiel ou contre l'état de guerre, par le "contrat" politique ; mais le terme même de contrat est révélateur : le social et le commerce sont gagnés l'un à l'autre.

Et plus près de nous, que l'économie se soit constituée comme sphère autonome, et que tous les échanges aient été ramenés au seul modèle de la transaction intéressée, contradictoirement aux pratiques sociales réelles, par "la mise entre parenthèses de tout l'enracinement social des pratiques économiques", -comme par  une scotomisation du capital culturel, social, symbolique, c'est aussi ce que constate le sociologue Pierre Bourdieu : "c'est de ce renversement de la table des valeurs qu'est née l'économie telle que nous la connaissons" (Les structures sociales de l'économie, 2000).

En se généralisant l'échange, fondement social, n'est devenu que purement marchand, et le lien social s’est réduit à la relation mercantile.

 

Toutefois retenons que déjà selon Montaigne, il s’en dégage une liberté individuelle : celle de se soustraire aux obligations morales d’une économie réglée par la logique sociale contraignante du don et du contre-don obligé ; il nous faudra revenir sur ce paradoxe (mis en lumière par Natalie Zemon Davis dans son Essai sur le don dans la France du XVIe siècle, 2000, trad. fr. 2003).

 

Reste alors cette seule question : vaut-il vraiment, pour partisans ou adversaires du capitalisme, que l'équilibre économique [en son déséquilibre libéral même (Hayek), ou régulé par quelque instance supranationale] implique un bien général (avec ou sans équité), si, de toute manière, l'échange mercantile qu'il exprime, déréalise le principe profond de l'échange, et induit finalement une déhiscence sociale ?

 

 

 

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             L’économie occidentale : prémisses, jalons, dynamique

"l'Europe fait à présent tout le Commerce et toute la Navigation de l'Univers"

             (Montesquieu, Réflexions sur la Monarchie universelle)

 

 

• l'argent (à propos de la monnaie et de l'or)

 

Dans Les mots et les choses (1966) Michel Foucault explique :

- Jusque pendant une partie du Moyen Âge, la monnaie, à l'effigie du prince, ou de la cité, est en outre signe de pouvoir.

- au XVIe, la pensée économique tient dans le problème des prix (effets de l'afflux des métaux américains) et dans celui de la substance monétaire (étalonnage des monnaies) ; d’où monnaie = quantité de métal :

"l'édit de 1577 établit l'écu d'or à la fois comme pièce réelle et comme unité de compte, décrète la subordination à l'or de tous les autres métaux".

- "Mais un certain nombre de phénomènes sont mis au jour qui sont propres à la monnaie signe et compromettent peut-être définitivement son rôle de mesure. D'abord le fait qu'une monnaie circule d'autant plus vite qu'elle est moins bonne. Ensuite et surtout, le rapport entre les faits monétaires et le mouvement des prix : c'est par là que la monnaie est apparue comme une marchandise parmi les autres, -non pas étalon des équivalences, mais denrée dont la capacité d'échange, et par conséquent la valeur de substitut dans les échanges, se modifient selon sa fréquence et sa rareté : la monnaie elle aussi a son prix.

(...) À partir de cette identification du rôle de la monnaie à la masse de métal qu'elle fait circuler, on conçoit bien qu'elle est soumise aux mêmes variations que toutes les autres marchandises ; l'étalon des équivalences est pris lui-même dans le système des échanges, et le pouvoir d'achat de la monnaie ne signifie que la valeur marchande du métal.

- (Les réserves en or :) Il a fallu poser un certain rapport entre métal et marchandise, qui, à la limite, permettait de fixer la valeur marchande totale des métaux précieux, et par suite d'étalonner d'une façon certaine et définitive le prix de toutes les denrées..."

           

Avec ces mises au point, rappelons également : "la monnaie est aussi un bien public, une institution, (...) ; la monnaie est ainsi l'une des modalités du lien social” (J. Généreux : Les vraies lois de l'économie I, 2001).

Et aussi : “En règle générale, c'est l'impôt qui monétarise l'économie, c'est lui qui crée la monnaie, qui la crée nécessairement en mouvement, en circulation, (...). C'est de l'impôt, non du commerce, que la forme argent naît.” (Gilles Deleuze : Mille plateaux, 1980).

 

Venu des Aztèques anéantis (20 millions de morts), l’or, via Séville, alimentait toute l’économie européenne (nombre d’objets d’or furent fondus dans la plus grande usine du monde du temps, -300 tonnes d’or, 10 000 d’argent) ;

et avec ces Indiens  : des millions de nouveaux fidèles pour l’Église, et pour l’Espagne autant de nouveaux contribuables, -ou de forçats ; l’épée et la croix. Quoique l’esclavage soit mis en doute théologiquement, il fallut se rendre à l’évidence : toute l’économie européenne était fondée sur les travaux forcés.

Aux yeux des Aztèques les conquistadors parurent  “assoiffés d’or tels des chiens fous”.

Il y eut donc de la part des Espagnols une cécité, (et un mépris) pour ces objets de l’art aztèque ; c’est aussi cela l’économie occidentale : d’être jointe au catholicisme, cet absolu d’éthnocentrisme ethnocidaire.

N’oublions pas ces premiers signes.

 

 

• panorama économique du XVIe siècle méditerranéen

 

Quant au rapport des marchandises avec la monnaie-or, et de ses configurations au XVIe siècle, citons ce texte éclairant : “d’économies actives sur le vaste plan du monde ; (...) il faut donc pour mettre en œuvre ces coûteux et puissants outils [les caravanes], des trafics rémunérateurs : dans le Sahara, le commerce du sel, des esclaves, des tissus et de l’or ; en Syrie le prestigieux négoce des épices, des drogues et de la soie. (...) À l’époque de Philippe II, tandis que l’Europe passe au régime de l’argent américain, l’Islam turc a encore vécu, semble-t-il, de l’or de l’Afrique. (...) Dans le Proche-Orient, (...), [par] deux faisceaux de routes [qui] tendent vers l'Océan Indien, ...sont mises en contact deux économies [Méditerranée-Occident (tissus, monnaie), Océan Indien-Orient (blé, coton, chevaux, riz,, sucre, ivoire, esclaves, or, et par le Pacifique, soies, porcelaines, cuivre, étain, épices] qui ont d'énormes avantages à se rencontrer, cependant autonomes et habituées à vivre sur elles-mêmes (...). Sans la passion du métal blanc dans l'Inde et en Chine, la demande (occidentale) resterait peut-être vaine.

La Méditerranée en fait est semée de zones d'économies semi-fermées, mondes étroits ou vastes, organisés pour eux-mêmes (...) [mais] qui entretiennent des échanges avec le monde extérieur (...).

Les villes ne peuvent se passer des pays pauvres situés à leurs portes (et qu'elles maintiennent, sans le vouloir ou le voulant, dans leur pauvreté). (...) Ainsi toute économie monde accepte un centre, une région décisive qui donne l'impulsion aux autres... (le quadrilatère :Gênes, Milan, Venise, Florence).

[...] Le rôle des métaux n’a jamais semblé plus considérable qu'au XVIe siècle (...). Pour l'un, ils sont ‘la substance du peuple’ ; pour l'autre, nous ne vivons pas tant ‘de commerce de marchandises, que d'or et d'argent. Et ce discours vénitien va jusqu'à dire que le métal, jaune ou blanc, est ‘le nerf de tout gouvernement, (...) car il est le maître, le patron de tout : il emporte avec lui la nécessité de toute chose ; sans lui, tout reste débile et sans mouvement’.

Patron del tutto, c'est justement ce qui s'avère discutable. La monnaie n’est pas ce moteur universel dont on parle volontiers. Le rôle des métaux précieux dépend des stocks des époques antérieures, (...) du heurt des économies, du jeu des États et des marchands, même de 'l’opinion du vulgaire'. Et souvent la monnaie n'est, comme disent les économistes, qu'un écran qui dissimule les réalités, biens, services ou échanges...

[...] Trois âges métalliques : (...) Période de l'or : tous les paiements se font de préférence en métal jaune; En 1503, (...) . Plus tard, pendant le long règne de l’argent (1503/1650-1680)... (...) voici les monnaies de cuivre (mines de Hongrie, de Saxe, d’Allemagne, de Suède, du Japon. (...) Mais bientôt l’or remontrera son visage. Expédié du Brésil, il touchera, à la fin du XVIIe s., Lisbonne, l’Angleterre, l’Europe. (...)”. Ainsi s’exprime l’historien Fernand Braudel (in La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II,  1949/1966).

 

 

• la route des épices

 

Elle formait au XVe siècle un jeu du système mondial d'échanges s'étendant de la Corée ou du Japon jusqu'à Venise. Ce cycle d'échanges, organisé à travers une myriade de relais (les comptoirs ou les colonies du XVIe) selon des voies maritimes semble remonter à l'aube de l'Histoire (les pharaons d'Égypte se procuraient la cannelle pour embaumer leurs morts, elle est citée dans la Bible), sinon à la nuit des temps? (échanges à grande distance attestés au paléolithique) ; ce vaste système d'échanges, à travers l'espace et dans le temps (il forme un cycle) implique entre autres grecs, arabes, indiens, perses, chinois, précurseurs des thaï..., l'antiquité, le Moyen-âge (les Croisades), Venise, le Portugal, l'Espagne, les Anglais, les Français et la Hollande…

Échange de biens, d'objets, de "richesses" et échanges entre les hommes, d'idées, de savoirs ; l'on dit que la Route des épices fut la voie de propagation des trois grandes religions monothéistes, l'Islam, le Christianisme et le Bouddhisme (à moins que les trois grands monothéismes ne soient issus de ce courant d'échanges) ; dans les faits, il y a eu, non seulement tradition, avec ce flux intense et concentré d'échanges (un flux tendu), et, à travers lui, le mixage des peuples et des cultures (mosquée en Chine au VIIe, bouddhisme en Corée) , transports, imports/exports (Mésopotamie-Indus), emprunts, transferts, déportations (des sites, des hommes, des pensées) et refondations (Célan, Goa), mais aussi un système commercial majeur dont procédait, partout et de toutes parts, une multiplication des richesses, comme un proto-capitalisme.

Système d'échanges, et plus précisément commerce : fondé sur quelle matière, à quelles fins, avec quels moyens, et pour quelles conséquences ?

 

L'épice (Noix de muscade, clou de girofle, poivre, cannelle, safran, gingembre, vanille, -près de 300 épices) est singulière, unique : propriété exclusive d'un groupe, bien strictement territorial ; in situ, ce bien est aussi culturel, -valeur autochtone (rites) ; il est enfin, doué de vertus ou lié à un usage, substance.

En second lieu cette denrée a comme propriété d'être échangeable (et par là, au travers de sa transaction, principe de richesse) ; transporté et échangé, l'objet épices garde ces attributs : il reste unique (rare/cher), culturel (rite social, valeur exotique), bien d'usage (condiment/médicament), signe et principe de richesse ; porteur, de part et d'autre de l'échange, des mêmes puissances de valeur, de valeur d'usage et de valeur d'échange, il est avant tout transactif, et, en tant que substance universalisable, quasi-valent d'une monnaie (le poivre antique est vendu au prix de l'or).

 

Ce cycle d'échanges, étendu au moins sur trois ou quatre mille ans, et qui fait originellement ou prototypiquement songer à celui de la Kula des Mélanésiens, ‘s'achève’ entre le XVIe et le XVIIIe siècle, moment où le bien aura perdu sa quintessence : d'être unique, irremplaçable (transplanté et cultivé dans le nouveau monde, fin de l'exclusivité territoriale et des monopoles) et où l’inégalité sociale riches/pauvres devient structurelle (cf. ci-dessous, le point de vue de Braudel).

 

La fin des épices : jusqu'au XIVe siècle, l'échange reste la prémisse d'une plus-value sui-généris, cumulative, à travers des transactions pacifiées, au sein d'un système libre, ouvert selon l'offre et la demande ; mais par la suite les choses évoluent : c'est le crédit et l'idée de la rentabilité qui subsument le processus commercial ; le cycle des échanges devient mortifère, et le commerce  exponentiel.

En même temps les messages culturels changent : disparaît par exemple le partenariat (et la complémentarité) des hommes et des femmes, célébré ou attesté dans toutes les civilisations de la route des épices.

 

 

• XVIe siècle et croissance

 

Selon Braudel (La Méditerranée et....) : “Le trend séculaire ; Une montée séculaire de la vie économique s’amorce peut-être vers 1470, (...) se ralentit, le mouvement se poursuivant vaille que vaille jusqu’en 1650. (...) il y eu, au XVIe siècle lato sensu, des capitalismes successifs (semblables et différents), (...) sans pouvoir les lier à des variations différentielles du profit : un capitalisme surtout marchand avant 1530, un capitalisme industriel (à direction marchande) vers le milieu du siècle, un capitalisme de type financier quand le siècle s’achève.

[...] Avec la Renaissance s’achèvent les États-villes, avec le Baroque les vastes Empires commencent à ne plus avoir le vent en poupe (...).

[...] Vers 1650 se situe probablement le fond  même de cette détresse collective. (...) Paupérisation, dureté des riches et des puissants, tout va de pair, (...) cette corrélation entre surpeuplement et régression économique [il s'agit davantage de la Méditerranée que de l’Europe du Nord]. (...) tout tend à se polariser entre une noblesse riche (...), et une masse de pauvres de plus en plus nombreux et misérables (...). Un cracking ouvre en deux les sociétés anciennes, y creuse ses gouffres. Rien ne les comblera plus. (...) En Angleterre, en France, en Italie, en Espagne, en Islam, tout est miné (...). Étonnantes, merveilleuses contradictions du ‘Baroque’ s’est-on écrié...”

 

 

• du mercantilisme à la croissance

 

En 1701, paraît un opuscule précurseur,Considérations sur le commerce des Indes orientales (anonyme) : au sein d'une libre concurrence  entre intermédiaires commerciaux (justifiant même à terme une position super-formante dans le trafic, -telle celle aujourd’hui de la grande distribution), et au travers d’une production à moindre coût s’engage un processus vertueux (de rentabilité-profitabilité et de développement), tout à la fois propice aux consommateurs et derechef favorisant un lucratif investissement attentif aux opportunités du marché (tant commerciales que techniques), -à l’encontre d'une économie étatico-nationaliste (avec ses stock d'or et d'argent), mercantiliste (dirigiste)*.

 

Étendons encore les choses : au total, de 1450 à 2000, il y aura croissance**.

Le système, en fait mondialiste depuis six siècles, lie croissance et plus-value ; expansion et stagnation s'enchaînent selon des cycles (Kondratieff)***,  et des évolutions [déruralisation-urbanisation (industrialisation) aux XIX et XXe s (diminution en 200 ans de 90% à 50% d'agriculteurs dans le Tiers-Monde, de 80% à 5% dans l'OCDE), extensivité du capitalisme et intensitivité du salariat au XIXe, intensitivité du capitalisme et extensivité du salariat au XXe (cf I. Wallerstein Alternatives économiques, HS n°33 -1997), dépérissement de l'État].

 

* Pour situer autrement les choses, autour de deux questions, -d’où (comment) vient la richesse ? (a), comment déterminer la valeur des choses ? (b)-, et selon une “brève histoire des économistes” par Olivier Lacoste (Le Monde, 16 déc. 1997)  :

Le propos des mercantilistes (XVI et XVIIe siècles) vise à démontrer que la puissance politique du souverain passe par l’enrichissement des marchands du royaume (Antoine de Montchrestien, 1575-1621) (a).

(...) Boisguillebert (1646-1714) plaide pour une réforme fiscale de manière  ne plus entraver la consommation. Le libéralisme approche (a).

(...) il n’est de richesse que dans les ressources du sol,  (François Quesnay, 1694-1774) (b).

(...) Adam Smith (1723-1790) considère que la cause objective de la valeur réside dans le travail (b).

La démarche de Karl Marx est critique (nous dirions sa visée est historienne et sociologique) (...) Marx a en commun avec Smith de raisonner sur des classes sociales et d’affirmer que la valeur réside dans le travail (b).

(...) les néoclassiques construisent une vision théorique des marchés (Léon Walras (1834-1910) (b).

(...) Keynes (1883-1946) insiste sur le rôle des entrepreneurs (a).

(...) Pour Hayek (1899-1992) les phénomènes sociaux (...) sont le résultat de l’action des hommes et non de leurs desseins (a). (...) pour lui le marché constitue la meilleure organisation sociale (b).

**"Sur une longue période donc, un trend de croissance, une tendance lourde incontestable de progrès économique autour de laquelle s'enroulent des cycles de périodicité variable". Depuis 1400, stagnation en Chine, croissance en Occident. Selon le mercantilisme il n'y avait que répartition au niveau mondial des richesses données ; Adam Smith sera le premier théoricien à rompre avec cette vision et à percevoir un phénomène historique de croissance ; Marx estimera cette croissance temporaire (car baisse tendancielle du taux de profit à mesure que grandit la masse des capitaux) et condamnée à terme par la logique même du capitalisme, Keynes s'interrogera sur les conditions de la stabilisation de la croissance, celles de l'intervention politique. Facteurs de cette croissance : le progrès technique, le travail (organisé selon la spécialisation ou 'division' du travail), le capitalisme (crédit, entreprise, innovation).

Je résume d'après J Adda, Alternatives économiques , HS n°33 -1997)

*** "En examinant celles-ci, on note toutefois une différence fondamentale. Avant-guerre, les crises naissent de phénomènes endogènes (matières premières, crises bancaires) ; après-guerre elles sont volontaires et résultent pour l'essentiel  de l'action du gouvernement ! Sur les neuf récessions qui ont eut lieu après-guerre, sept ont été sciemment provoquées  par la politique monétaire  aux fins de casser les spirales inflationnistes  qui se manifestent” (Daniel Cohen, Le Monde, 8 juin 1999, sur Christina Romer : Changes in business cycles, WP n°6948, 1999).

 

 

• XXe siècle : salarisation-déruralisation

 

Extension mondiale du salariat = expansion du capitalisme.

La relation salariale étendue (de type industrielle) est le soubassement de la dynamique, une nouvelle cohésion sociale se déploie dans la relation salariale [individualisation politique, hiérarchisation sociale unificatrice (selon le critère de la position  salariale + ou - élevée), progrès matériel].

(Depuis 25 ans, il y a :) "transformation dans la structure des prix et des revenus occidentaux (forte capitalisation occidentale, progrès technique) + transformation de la relation salariale ; -> exportation  Nord->Sud, de capitaux, de techniques, de la relation salariale. (...)On passe d'un capitalisme archaïque (de propriété privée et de financement bancaire) à l'émergence d'une propriété sociale du capital ... (à même) d'influer sur la répartition et le contenu de la croissance »  (Aglietta, in Alternatives économiques, HS n°33 -1997).

 

 

            ◊

 

 

            Qu'est ce que la croissance ?

 

Une économie de croissance, née vers le XV ou XVIe siècle, mais au fait qu’est-ce au juste que cette croissance ? Vaste question ; la société des échanges est auto-surproductrice, et, du fait de la multiplication des échanges à travers le cercle de la circulation des échanges, elle dégage une croissance ; mais seule une infime partie des échanges (et des personnes) est concernée par un fort rendement (autour d'une forte rentabilité) : ce petit cercle chaud des échanges formerait le moteur des choses, au sein du grand cercle tiède ou froid ; pourrait-on imaginer que l'énergie intensive du centre gagne tout le tissu productif et commercial de la société ? Est-ce le vœu (ou la théorie libérale elle-même) des partisans du libéralisme, ou s’agit-il du cours naturel des choses (des centralités super dynamiques et des périphéries de plus en plus inertes à mesure qu'elles sont éloignés des centres ?

Selon une autre perspective (ou une autre vue), la croissance serait une marge, un volant d’action, nécessaires à l’économie libérale pour se déployer ; par exemple, l’économiste Hanna Moukanas oppose croissance organique et croissance financière : “Il est vrai que les entreprises pourront se passer de croissance le jour où nous pourrons nous passer d'oxygène. La croissance est vitale en ce qu'elle permet de bien allouer les ressources financières, et en ce sens elle n'est pas contraire à la rigueur qui elle permet de financer le développement de manière rentable [ou le ‘développement durable’]. Une entreprise sans croissance ne sert pas bien ses clients (...). Mais toute croissance n'est pas vertueuse (...) : entre 1995 et 2000 les 200 premières capitalisations en Europe (...) ont surtout utilisé leur cash flow pour acheter la croissance qu'elles ne savaient pas créer” (Mercer Management Consulting, in La Tribune de l'économie, 2002).

 

 

• configurations sociétales des économies

  les États-Unis et la France (relire les observations de Tocqueville)

 

La croissance (comme attribut condition ou principe du libéralisme) peut être aussi considérée historiquement et géographiquement : le tissu de l’économie américaine serait homogène et dynamique dans la mesure où il n'y aurait pas de clivage entre grandes entreprises et PME, -lesquelles, en contribuant jusqu’à hauteur de 20% à la recherche et au développement, formeraient une relève  (l’auteur parle d’une logique schumpeterienne de l’économie).

En France les PME ne contribueraient qu’à 2% à la recherche et au développement et co-existeraient avec les grandes entreprises sans vraiment les rencontrer (logique smithsienne). A mettre en rapport avec Tocqueville.

 

 

• l'essor du libre-échange et le dépérissement de l'État

 

Tandis que dans les sociétés précapitalistes, l'économie est encastrée dans des relations sociales déterminées par ailleurs (cf. Polanyi : La grande transformation, trad. fr. 1983), il y a dès le XVe siècle, à partir d'une dispersion du pouvoir politique, une autonomisation de l'économie (Jean Baechler : Les origines du capitalisme, 1971).

L'État lui-même sert, et s'appuie sur, le système de "l'économie-monde" (Braudel) ; leur conjonction va créer, du XV au XXe siècle, l'expansion occidentale.

Selon Jacques Adda :"à l'ère des cités-États, qui inventèrent, en marge des empires, le capitalisme commercial, succède l'ère des États-nations, qui, en donnant au capitalisme industriel son assise nationale, s'appuient sur lui pour développer leurs politiques de puissance. [il y a] recoupement des logiques, par ailleurs indépendantes, du système inter-étatique et du système économique international. [Il y a] ré-agencement des sphères économique et politique, sape de l'autorité économique des États  [d'où l'alternative URSS, et Bretton Woods] ; ceux-ci ne s'interposent plus entre les besoins des corps sociaux et les exigences des capitaux, pour lesquels ils aménagent l'espace logistique propice (social, financier-monétaire, réglementaire)". [Alternatives économiques (HS n°33 -1997)].

 

En Égypte ancienne, c’est l’État seul qui avait la maîtrise de la production* ; et en Europe aussi jusqu’à la fin de l’absolutisme royal.

À la lumière des évolutions présentes, il semble donc que depuis même son avènement républicain, l’État, bien qu’il ait été pour un temps la première force financière ou industrielle nationale, n’a cessé de concourir progressivement à sa propre disparition**.

Bref, de nos jours, à l’Est comme à l’Ouest, l'État, dans le cours des choses économiques du monde, s’est réduit jusqu’à n’être plus (me semble-t-il) qu’un appareil, un auxiliaire (même si parfois rebelle) ; historiquement, l’effondrement de l’URSS marque la possibilité à l’Ouest du déclin de l’État (la guerre froide peut s‘interpréter comme la disposition qui substitue à la rivalité d’économies nationales la progressive liquidation de l’État) ; il n’est que de voir comme dans cet univers de marchands, l'adhésion de la Chine à l'OMC tout à coup lui l’assure d’une efficience économique (et d’une respectabilité : l'entorse aux “Droits de l'Homme” tels que définis par l’idéologie libérale, se dissout dans l'avènement des droits du commerçant).

Bref l’État, pour reprendre une formulation classique, n’est plus le producteur central des normes sociales, économiques, politiques.

 

Rappelons que le dépérissement de l’État, en tant que thème politique, fut envisagé d'une autre manière par le communisme, quoique peu abordé par Marx (même après l’expérience de la Commune de Paris qui déléguera le militaire au peuple) ; ce dépérissement concerne ici divers modes ou fonctions d’État (hormis ses fonctions de défense militaire) : gestionnaire et administratif, l'État en URSS, après 1956, fut quelque peu décentralisé et/ou déconcentré (santé, éducation, ordre public, compétences économiques) au profit d’un contrôle social local (y compris par le Parti) ; gestionnaire et bureaucratique (compétences économiques et sociales), il fut battu en brèche dans l’expérience auto-gestionnaire yougoslave (cf Gérard Lyon-Caen, Mise au point sur le dépérissement de l’État, archives de philosophie du Droit, n°8, 1963).

Dans les faits d'aujourd'hui, depuis les années 80, le dépérissement de l’État,c’est celui opéré par le capitalisme et/ou celui de l’effondrement de l’URSS.

 

* Selon les Masai, l’agriculture est née de l’État (lequel exige que la terre rende) et non l’inverse

** 1789 souscrit d'emblée (selon nous) à l'État libéral (Droits de l'homme / limitation de l'État), cf. notamment Noberto Bobbio : Libéralisme et démocratie  les éd. du Cerf, 1996.

Risquons ces quelques approximations : même s'il fut voué à servir (et se servir de) la grande industrie, à travers une dynamique économique qu'il impulsait, il n’en demeurait pas moins financièrement une pure force de dépense passive (régulatrice, redistributive ou productrice d'équipements collectifs), dépense dont le coût portait sur la productivité même. Dans son concours au développement de la grande industrie, l'État diligentait (et participait à) l'exploitation des travailleurs, dans le but, non du profit, mais, avec celui de la production, de la normalisation de l'activité sociale des gens.

Sous sa forme gouvernementale républicaine, née de 1789, persévère cette tradition d'autorité (qui emprunte sa forme à l’état absolutiste), qui se compose désormais avec la liberté financière privée.

 

 

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            La logique sociale du libéralisme

 

Cette transformation mercantile et marchande des rapports sociaux qu'accompagne une déhiscence sociale, en parallèle au dépérissement de l'État ou à la relativité idéologique des valeurs institutionnelles, bien des auteurs les ont pointées ; cherchons à présent à cerner quelques traits de la logique sociale qui accompagne ces transformations.

 

 

• travail

 

Contre-produite par le capital (et avant tout formalisée selon le modèle des rapports de production industriels, -et sur fond de dénuement nécessaire à l'existence d'un salariat), la notion de travail répond aussi de cet exclusive de l'économique : celle du labeur procurant un revenu monétaire, à l'exclusion de tout autre bénéfice (personnel et social).

La critique intellectuelle ne semble jamais s'exercer sur la catégorie elle-même, mais sur les formes prétendues perverties du travail (alors que la "précarisation du travail" n’est jamais que son régime normal au sein du libéralisme).

La relation de travail, universelle en ce qu'elle caractériserait l'activité motrice de l'homme, sa vocation, son épanouissement : je ne crois pas cela.

 

Ambiguïté même chez Marx (Critique du programme de Gotha : "le travail ne sera pas seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui-même le premier besoin de la vie" (...) ou  "de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins") ; en opposant, comme des forces antagonistes, le travail et les forces productives d’un côté et de l’autre le capital, Marx resterait enfermé dans cette logique (où l'émancipation passe par la juste rétribution du travail).

Peut-être parce que son analyse du travail s'inscrit dans sa conception de la plus-value qui ne reviendrait qu’à celui qui exploite le travail ; de fait, il y a bel et bien plus-value des deux côtés, et l'on peut suivre Schumpeter dans sa critique de Marx : "[chez lui] le capital n'est capital qu'entre les mains d'une classe capitaliste distincte. Entre les mains des travailleurs, les mêmes objets cessent d'être capital" ; toutefois, si, d'un point de vue économique, il est improbable de pouvoir opposer travail et exploitation du travail, ou salarié et capitaliste, c'est précisément au nom d'un point de vue strictement économique, tandis que (chez Marx) le glissement d'une catégorie économique à une catégorie sociologique, justement rouvre le champ d'une réflexion critique ; on peut aussi penser que Marx, par travail, entend activité (les identifiant à tort), -et qu’en effet sur un plan anthropologique le propre et la vocation de l'homme c’est son activité.

Selon Max Weber,le loisir est nécessaire à l’homme pour lui permettre de travailler (in Illich : Une société sans école, 1970).

 

 

• sémantique de la productivité (empire et tiers-monde)

 

L'empire romain, ex ou implosé lorsque ses colonies domineront les flux marchands (et/ou explosé par les invasions barbares), aurait systématisé un régime politique universel et un régime d'échanges généralisé, fondé sur l'exploitation des ressources (sinon inscrit dans la croissance).

Il est bien sûr simplificateur d'opposer l'aliénation religieuse (l'Islam) aux pays occidentalisés du nord ; mais il y a peut-être cependant dans leur opposition quelque chose réelle qui s'articule au mode de vie, à la tradition locale ; lesquels ne sont pas dans les normes de la croissance et du travail sans fin (l'opposition serait plus culturelle que religieuse et la frontière passerait entre pays du sud et pays nordiques).

D’où (pour une part, une part profonde) la problématique et conflictuelle différence de croissance entre pays.

 

Il se trouve que les pays du sud ont été spoliés, et pendant la colonisation, et à présent, du fait que nombre de leurs productions propres ont été dupliquées et répliquées dans les pays occidentaux ; ils se trouvent donc (à des degrés divers, selon qu'ils ont du pétrole, de l'uranium, des diamants...) aujourd'hui sans autres ressources que celles engagées par nos modes commercialo-productifs.

La quantification de la production, et la maîtrise des flux vient du nord (plus particulièrement des USA), nanti de sa légitimité, en acte et en droit.

 

 

• mœurs

 

La logique libérale est aussi une logique sociale, morale : en plaçant la vie dans la production des richesses et celle-ci dans la croissance et selon le critère de la productivité, elle produit un critère existentiel et elle évalue l’existence : la logique libérale fait que l’argent va davantage à ceux qui en sont intéressés qu’à ceux qui ne le sont pas (cf cette éloquente page d’Hayek sur l’égalité des droits favorisant, -certes, mais au détriment de qui se situe ailleurs-, le self made man conquérant ; idem avec Schumpeter) ; la possession égoïste des biens est comme un aimant qui oriente tout le consensus social.

Il n’est que de regarder autour de soi : la relégation du plaisir (et de la nécessité) d’être physiquement ensemble, la fin d’une solidarité sociale organique, des gens de plus en plus ‘individua-isolés’, ou pour le dire autrement, l’émergence de rapports sociaux où les affects sont comme coupés de leurs racines culturelles (effondrement idéo-affectif).

 

Dans le même temps l’inégalité sociale est source de jouissance, émulative et idolâtre (possession de biens de plus en plus différenciés et sophistiqués au sein d’une offre diverse et étendue), laquelle peut s’interpréter comme une réponse (révolutionnaire) du capitalisme à une idéologie sociale “désirante”, ou comme une réponse à une nouvelle “critique artiste”, -mais selon l’intérêt économique maximal (Ève Chiapello : Le nouvel esprit du capitalisme, 1999)).

Mais parallèlement se développe l’anomie ; È. Chiapello le souligne : “l’incertitude est érigée en principe de vie, ce qui n’est semble-t-il, confortable que pour les mieux armés, (...) sorte d’auto-destruction interne de la société et des individus. (...) La dynamique capitaliste progresse par une marchandisation rampante de toutes les activités humaines  (...) [le don ou le contre-don / le partage familial / les objets symboliques...], (...) C’est le cas par exemple de la mise en relation (par un tiers rétribué) [entre générations, entre contribuables et délinquants] ; au demeurant cette anomie produit autant les délinquants (rebelles ou non, -“non-conformistes intégrés" ou “conformistes déviants”) que les schizophrènes ».

Dans cette pratique sociétale de l’échange, il s’agit bien du rapport inter-subjectif, et de l’âme intime, qui se trouvent ainsi mis en compte.

Comment pourrait-il en être autrement dans un monde régi avant toute chose par le travail, c'est-à-dire par le rapport marchand : je vends mes heures de vie contre des chaussures ou des annuités de vacance (ou contre des actions financières) ; il ne nous reste que de rêver d'une vie qui nous a été volée.

Vol de des heures de notre temps et vol de notre  corps qui n'agit plus selon ses envies (d'où l'obésité moderne des pays industrialisés) ; cette liberté de corps que l'enfant possède de façon innée, et qu'ont encore ceux qui sont le plus éloignés de notre civilisation industrielle.

Renverser révolutionnairement les choses reviendrait à défaire le rapport marchand là où il crée l'aliénation salariale (et donc à remodeler la division du travail, selon une égalité repensée, -si tant est que ce principe d'égalité soit à même de susciter de vrais rapports), mais non à supprimer les plaisirs modernes conquis et intellectuellement acquis (le confort, l'abondance). Mais alors où tracer une frontière, puisque c'est cette société marchande qui a produit cette abondance ? Où commence la pacotille que génère la société marchande, à quel moment le profit (cette acmé du libéralisme qui est aussi plaisir) se trouve-t-il disqualifié ?

 

 

• valeurs démocratiques, relativité des valeurs

 

Cette liberté marchande (qui d'ailleurs exclue par principe la liberté individuelle d'entreprendre à perte) n'est aucunement contradictoire à la démocratie, comme le montre à l'envie l'exemple des États-Unis ; il y a même une corrélation (ou un concours) observée des spécialistes entre démocratie (Droits de l'homme) et libéralisme (droits de l'individu, cf. Noberto Bobbio, déjà cité).

Donner des droits égaux à tous, aux forts comme aux faibles, c'est, comme déjà dit ci-dessus, dans la logique d’un contexte marchand, évidemment privilégier les plus forts (adaptés ou 'gagnants'), au détriment des faibles (inadaptés ou 'perdants').

Certes, comparée aux autres systèmes, la démocratie paraîtrait le moins mauvais = mieux vaudrait la démocratie que les leaders maximi, mieux vaudrait la relative caducité de ses vertus que la déraison du pouvoir autoritaire, mieux aussi la démesure du capital que peut-être le principe désuet de la raison d'État.

Et, de fait, en effet, "politiquement", c'est bien (de même il est bien qu'il y ait, comme le remarque l'écrivain américain Tom Wolf, des maires de grandes villes américaines qui soient noirs) ;

mais quelle est la valeur de ce bien (vu de plus près ou vu de plus loin) et quelle est sa réalité, si, lorsque les démocraties se donnent des institutions sociales, étatiques ou caritatives, pour pallier aux ruptures de leurs consensus, ceci ne corrobore que ce même déficit, traduisant bien par là la contradiction entre une égalité formelle et une sélectivité réelle (source d'anomie et/ou de délinquance) ?

 

Selon Pierre Rosanvallon (Le peuple introuvable, 1998) : “la démocratie, horizon du bien politique, semble inachevée ou trahie ; cela tient à une difficulté de figuration ; le principe politique ne correspond pas au socius” ; peut-être correspond-il au libre échange, à l'universalité de la transaction mercantile ? -Et la citoyenneté, idéal abstrait qui ne distingue pas les uns des autres le compagnon, l’ouvrier, le patron, le rentier, ni ne discerne les relations sociales de proximité (parents, milieu, site) qui tissent le moi, exprimerait-t-elle la généralisation du travail salarié ?

Peut-on parler de consensus ? -et quel consensus, sinon celui d'un salariat aliéné à (et unifié par) la rentabilité et d'une idéologie institutionnelle en regard d'une "culture" (production) de masse* ?

Peut-on parler de majorité ? S’en remettre à l’opinion (en renvoyant dos à dos Nietzsche et Platon), voilà qui est bien risqué ; et de fait, s'il s’agit bien du règne de l’opinion, l’on ne sait plus quoi, ni qui, ni comment, -de l’intimation venue d’en haut (coercition hiérarchique), ou venue d’en bas (puissance de l’audimat, qui vaut gouffre culturel) ; en outre, peut-on distinguer, voir opposer, ce qui vient "d’en haut” (les dirigeants, les  actionnaires, les vedettes ou idoles, le système économique d’encadrement) et ce qui vient "d’en bas” (l’opinion, les  actionnaires, le système économique) ? Quelle majorité, sinon celle de la pensée unique ?

 

D’une société ancienne où certains pouvaient, sans se déjuger, ne rien faire (du fait d'une solidarité intrinsèque), d’une gestion économique fondée sur l’intérêt sensible de chacun parmi tous (sans l’exclusion), l’on est passé à une société de l'acquisition (par coercition) et du manque (ou à une société de la croissance).

À une société pré-capitaliste solidaire (ou de coexistence) et à son économie autarcique de subsistance (ou de cohérence interne) s'est substituée une économie sociale d'appropriation marchande (délocalisée, prospective, de marché) où a cours la fracture sociale, -et où le lien social s'est désubstancié : "où l'individu ne possède la qualité d'homme que s'il est propriétaire de lui-même, [et où cette dernière l'oblige à] n'établir avec ses semblables que des rapports contractuels fondés sur son propre intérêt" (cf. C B Macpherson La théorie politique de l'individualisme possessif, Gallimard 1971).

La production de richesses (fondée sur la croissance et le (non)État libéral) défait constamment ce qui fonde le lien social ; que le lien social s’évanouisse tout à fait dans la télécommunication de la culture de masse, l'on aura alors une société d’un totalitarisme nouveau, même si démocratique (et/ou peut-être parceque démocratique), telle celle de fourmis commerçantes.

 

Solidarité et traditions hier**, individualisme cynique aujourd’hui, ce sont là des truismes ou des clichés que je dois remettre plus près de cette idée : que dans l’échange, depuis le libéralisme c’est le signe =, l'opérateur, qui prévaut sur les termes ; ce sont les procédures ou les protocoles qui priment sur la nature des choses échangées (la culture de l’efficience évoquée en introduction) ; pour dire autrement cette idée : que, depuis le libéralisme, l’échange implique un standard (“une équivalence indifférenciée” dit Baudrillard) qui ruine l’essence des choses.

 

* Culture de masse en cohérence avec l’individualisme ; l’individu comme plus petite unité (après celles, fragmentaires, des groupes, classes, ethnies, villes, sociétés, nations), commis ou adonné à des méta-sous-cultures : l'appropriation par l’achat (prescrit selon la mode, ou l'innovation), les loisirs et le spectacle, la télécommunication de masse (le son, l'image) ; au revers de ce procès général d'individuation (lié à la salarisation et à la consommation universelles), il y a le sentiment de déréliction du temps, une disqualification de l’intensité et du motif, une certaine abdication politique.

** Dans les années 20, en France, à propos du blé, on se souvenait que celui des anciens, battu à la main avec le fléau, était meilleur ; c’est dire que la dégradation de la qualité remonte au début du XXè s., au-delà de l’industrialisation, à la mécanisation elle-même. Sous ce rapport, -la qualité gustative des aliments-, le bilan de l’industrialisation n’apparaît donc pas toujours.

La rentabilité vide tout de toute substance ; prenez à Paris, l’exemple des cafés, ce lieu mental et social singulier dont l’espace était autrefois aéré, -non pas ce maximum de places assises pour qu’il soit une affaire rentable ; le café a donc été dénaturé, avec son espace propre il a perdu son essence même de  lieu d’échanges pour n’être plus qu’espace de consommation.

 

 

• fins et moyens

 

Ce ne serait qu'une autre rhétorique que d'imputer tous nos maux à l'esprit et au système marchand ; la réalité et la marche des choses est mixte, arborescente : ainsi, par exemple, il n'y a pas seulement une dimension mercantile dans la télécommunication, mais aussi celle d'une technologie, laquelle modifie nos comportements, nos rapports, nos valeurs, notre histoire (en bien et en mal) ; laquelle aussi défait un certain lien social, certaines pratiques, ou telle temporalité existentielle, et modifie la nature du réel ; de même pourra-on imputer à d'autres progrès des sciences et à d'autres transformations des cultures et mœurs humaines, la perte de l'activité physique (ou de ces gestes appris des adultes aux enfants pendant des dizaines de milliers d’années, tel que de savoir faire avec les mains) qui touche aujourd'hui notre nouvelle humanité. La télévision nous “de-et-re-cérébre” (y compris peut-être son flash lumineux), et nos modes existentiels et alimentaires font de nous des obèses grands.

 

Contre la logique déshumanisante d'une dynamique marchande, détachant l'économie du politique et l'échange de son sens social, l'on peut rapporter l'échange à sa substance sociétale, à ses motifs culturels, à ses mobiles sociaux ; ce qui n'est possible qu'à une double condition : l'équité de l'échange (déjà organisée par la société libérale à travers la liberté de la concurrence et la sanction du marché), et l'assurance intime de sa valeur sociale, rapportée à la qualité des produits échangés ; pour que l'échange soit le lieu ou l'occasion d'une humanisation (d'un commerce civil), le produit échangé doit être consubstanciel à l'homme* (l’objet marchand doit rester vernaculaire). Fort bien, me direz-vous...

 

Restaurer l'échange dans son lien au politique ne saurait provenir de la langue de bois de la politique ordinaire, celle par exemple, révélatrice, des députés ou des élus, qui se superpose au réel et s'inféode aux impératifs d'une société marchande (l'emploi, le chômage, la croissance), mais qui s'avère incapable de dénoncer la misère existentielle des produits échangés (tels les loisirs ou les produits culturels de la télévision publique, identiques à ceux du système privé ; de plus l'État, depuis son "dépérissement", se donne vocation à la rentabilité de ses actes). On peut aussi douter des praxis universitaires.

Ni le libre échange, ni la démocratie (ni la rationalité scientifique) ne sauraient être des fins ; mais en les posant comme telles, notre société dérive vers un totalitarisme. Pensé et organisé comme une panacée et comme une fin, le système du libre-échange apparente depuis cinq siècles la civilisation occidentale (elle-même posée comme fin) à celle d'une histoire marchande, impérialiste et éthnocidaire, versus USA depuis 1945.

 

L'on a largement décrit l'exaction militaire qui loin d'être seulement un moyen  étatique est aussi une fin commerciale, sans encore assez mesurer et dénoncer le caractère mortifère de cette dernière ; de la "guerre-monde" à "l'économie-monde", l'exclusive d'un pouvoir marchand (qui a commencé par copier ses moyens sur ceux de la supériorité physique de forces) forme un laminage destructeur.

Si la pensée libérale  (les lumières écossaises, Locke, Hume) remplace [avec raison et suivie sur ce plan par le marxisme** qui rapporte l'homme à ses conditions d'existence objectives, -cad aux “rapports de production”] l'homme politique par l'homme social, défini par ses activités réelles privées (de production, d'échange), dans une société où l'État n'a plus d'autre fonction que celle d'assurer la garantie juridique des activités sociales et des droits individuels, elle n'en réduit pas moins, dans sa finalité, les rapports des hommes entre eux à de prétendus rapports objectifs aux les choses (individualisme possessif, matérialisme moral) et elle conforte ainsi tous les processus déshumanisants d’une société marchande (le lien social est ruiné).

 

Cette société serait certes odieuse (et nous ne serions même plus là), si la majorité des gens et la réalité même étaient réellement ou entièrement subsumées par une telle chose (quoique des théoriciens, économistes et/ou ‘politiques’ en soient convaincus jusqu’à vouloir nous le faire accroire). Mais à de telles fins (qui se ré-assurent du réel qu'elles ont contre-produit) et à de si mauvaises idées, ne faut-il pas, lecteur, opposer de fortes alternatives ?

 

* contre un système d'enseignement qui favorise la régularité et l'obéissance (primauté des matières scientifiques), requise pour préparer la salarisation de ses acteurs, une désinstitutionnalisation de l’école (Ivan Illich,Une société sans école,1971).

** La pensée marxiste, qui trouve sa substantifique moelle dans le refus de l'aliénation (ou de la déshumanisation de rapports marchands), imaginera même des rapports de production délibérément moins performants que ceux du libéralisme (la propriété collective des grands moyens de production), sorte d’utopie. La réification de cette utopie au XXe siècle (URSS soviétique) fera long feu (cf Hobsbawm, l'âge des extrêmes, histoire du court XXe siècle) : les rapports moins performants sont au bout du compte invalides ; la liberté des échanges, la liberté d’entreprendre, de posséder, la liberté de profit, celle d’être gagnant, et toutes légalement pratiquées jusqu’aux dépens d’autrui, font une telle machine qu’elle est invincible (d’autant que l'appât du gain est élevé au rang d’un principe économique).

 

 

• la logique économique profonde, quelques-uns de ses effets

 

La logique économique (du libéralisme, de l’industrialisation, des grandes sociétés), c’est aussi l’incapacitation individuelle des organisations humaines : dépendance de plus en plus accrue, incapacité de produire localement sa nourriture, de produire localement l’eau, -alors que chacun (à la campagne en tout cas), pourrait la produire (au lieu d'un immense réseau de distribution, cher et dangereux, -cf infra et supra).

Dans le cadre européen, ce sont les secteurs agricoles des pays les plus industrialisés qui sont subventionnés, de façon à être concurrentiels avec les agricultures archaïques (moins chères) des pays les moins industrialisés ; bizarre.

Plus les pays sont modernes, plus les coûts sont élevés (fabrication, transport, distribution, consommabilité des produits (il en résulte aussi de nouveaux modes de vie par certains côtés très plaisants : des produits qualifiés : une voiture fiable, un bon téléviseur, une alimentation de qualité). Plus les pays sont pauvres, plus les prix sont inaccessibles.

Notons aussi ceci : il faut aujourd’hui à l'homme moyen de dix à vingt ou trente ans pour acquérir sa maison ; combien de temps faut-il à l’homme des sociétés traditionnelles (ou préhistoriques) pour acquérir ce bien de première nécessité ? (20 minutes ou une à deux journées). S’agissant de l’économie moderne, peut-on vraiment parler de performance économique ?

Rappelons aussi que là où il fallait un salaire par famille il y a dix ou vingt ans, il en faut désormais deux (l‘émancipation de la femme passe par sa salarisation et ne traduit qu’une pression économique accrue).

Et enfin les gravissimes problèmes écologiques entraînés par la croissance industrialisée ; les quatre premières causes de pollution (destruction de la couche d’ozone) : agriculture, transport routier, industrie, bâtiment:

 

 

 

            ◊

           

 

            II

culture et mentalités : quelques jalons critiques

 

L'échange est le moyen et la fin de l'homme. Le premier échange est oral, —bouche, sein, parole ; nous échangeons ce que nous sommes, ce que nous aimons, ce que nous savons et ce que nous pensons, et cet échange nous constitue en nous et entre nous.

Pour un échange qualifié, ou pour bien s'y porter et bien se porter, il faut en avoir la capacité, l’envie, en être gratifié (garantir cet échange qualifié est un but majeur du politique).

Pour échanger il faut mettre en commun ; de la sorte se forme et se constitue un bien commun qui substancie et valide le plaisir personnel à travers le lien social (c'est le bien public).

Mais comment, politiquement ou institutionnellement, garantir une qualité, une qualité par nature historique et sensible, mouvante et diverse ?

 

Par quelques préliminaires méthodologiques ? La qualité de l'échange, tel ou tel (matériel, pratique, psychique, sexuel...) appelle aussi un lieu et un temps qui lui soient adéquats ; elle tient aussi à la qualité des choses (cellules, affects, services, produits, savoirs) que nous échangeons et à la mutualité de l'échange.

La mutualité implique que nous ne puissions échanger que des choses distinctes ; à défaut de la diversité des choses, à défaut de l’altérité de chaque échangeur, il n'y a pas d'échange social bénéfique (gratifiant et "profitable") aux parties : lorsque (à force de tout échanger) tout le monde échange la même chose, on ne saurait parler d'échange, au sens exhaustif du mot, -la société devient totalitaire.

 

 

• la tradition occidentale des paroisses

 

Elle court pendant plus de mille ans (du VIe au XVIe siècle) et forme notre histoire même. Il faut voir le curé, non comme le représentant de l'Église, mais d'abord comme un prêcheur de vocation populaire, un acteur culturel occupant une position transversale et tenant à ce titre un rôle social critique. En lui chaque village, trouve une parole temporelle, en laquelle la communauté s’identifie (se positionne) et s’unit ; ce fonctionnement social, ce jeu politique d'une parole éthique qui se déploie en parallèle de l’action des institutions (seigneuriales, royales, impériales, républicaines, etc), a caractérisé la société occidentale ; ce fut toujours cette parole publique externe, instituée par l'organisation sociale comme le lieu propre d’une ré-énonciation des valeurs, des comportements et des mœurs, -peut-être parce que l'énoncé social connote une dimension métaphysique.

Il y a donc eu cette partition qui en Europe définissait les sociétés : un pouvoir civil, une administration des choses publiques, et, comme externalisée, une parole politico-éthique.

Ce mouvement et cette continuité d’une parole sociétale, cette fonction idéologique ou vision du monde, des rites, des sens (aux deux sens du terme), des us, s’est éteinte, comme chacun sait, avec le déclin des pratiques cultuelles, l'émergence de la république, la naissance des intellectuels, l’industrialisation et/ou le capitalisme, etc*.

 

Avec la déchristianisation des XVIII-XIXe (après l'intégration sociale engagée par le centralisme monarchique du XVIIe) l'espace politique se recompose (unitairement, par de nouveaux universaux), –le pouvoir civil/politique se trouvant investi du domaine éthique (avènement de "la société civile") ; à la religion succède l'idéologie, en charge d'énoncer le sens des activités, les usages, les valeurs sociales ; la déchristianisation c'est la république ou l'idéal de laïcité, la science et l'opinion, le travail et le salaire, etc. Mais ce n'est pas tant une substitution de l'idéologie au religieux (catégories peut-être anachroniques) que l'effacement d'un plan social distinct du pouvoir politique : celui d'une parole politico/éthique extérieure, récurrente, unitaire, fondatrice**.

Après l’effacement de la cure et avec le dépérissement de l'État, cette parole, diffuse (et ‘structurelle’)plutôt que codifiée (et ‘constituée), se dissout dans la dimension civile de la société toute entière (à travers l'opinion, ses spécialistes, ses professionnels) ; en tant que représentation existentielle collective d’une commune condition sociale (contre produite par les rapports sociaux de production), elle ne pourra plus être que celle des intérêts privés (mercantiles), garantis par l’appareil législatif selon les nouvelles valeurs consensuelles (démocratie, progrès, … ?).

 

* Ce qui d'ailleurs peut être rapproché (après Europe ou la chrétienté, de Novalis, 1799] de l'analyse de Max Weber, selon laquelle, avec le protestantisme, s'achève le désenchantement du monde (destruction des traditions et rites, glorification du travail).

Au plan d’une praxis démocratique sur l'imaginaire institué, l'on peut aussi voir la fin et la survie de la paroisse en sa transition dans et vers la commune, transition illustrée par les théoriciens de la première révolution anglaise, presbytériens et niveleurs notamment ; Blandine Kriegel, en parlant de la démocratie comme "d'une utopie scientiste et technologique" (La revue des deux mondes, avril 2000), désigne Francis Bacon, acquis aux valeurs matérialistes du monde marchand, comme un précurseur

** De façon similaire, et selon Jean-Fabien Spitz (La face cachée de la philosophie politique moderne, Critique n°... 19..) le théoricien John  G.A. Pocock voit dans le courant de l'humanisme civique anglais du XVIIIe une opposition aux concepts de droit de la société marchande (au "paradigme juridique et libéral") dans laquelle, une fois le politique débarrassé de sa fonction éthique ("La personnalité de l'homme se forme non pas dans la pratique abstraite des rapports politiques d'égalité mais dans le système d'interaction qu'elle entretient avec l'ensemble des objets et des personnes qui constituent son environnement social. C'est donc bien le social (le civil), et non plus le politique (le civique), qui est le lieu de l'humanisation de l'homme")

Il n'en demeure pas moins une déshumanisation.

 

 

• topique

 

Si l’homme est commis à l’échange social (politique, marchand), il est tout d’abord induit à l’échange relationnel, qui tisse son moi et sa psyché, commande ses gestes, ses raisons, ...jusqu’à tramer aussi son destin (l’autre est au cœur de nous-mêmes et détermine notre Weltanschauung).

L’homme est d’abord totalement précipité dans l’échange relationnel ; échange qu’ il peut d’ailleurs passer sa vie à élaborer, -jusqu’à en faire un art ; tout aussi bien, il peut, avec les autres, en faire un art social (le problème politique et philosophique du bonheur se pose bel et bien dans nos sociétés) ; symétriquement, la partie politique ou sociale de l’échange relationnel doit être tout autant collectivement élaborée qu’art intime.

Si j’unis les sentiments intimes (y compris de répulsion) qui composent socialement mes sens au quotidien à ma Weltanschauung personnelle, j’opte du même coup pour un bonheur né de mon action créative ou critique sur le monde.

C’est pourquoi la question d’un critère de qualité quant aux biens échangés (vendus) ne peut que se poser : que valent les biens que nous échangeons ? Nul ne saurait construire valablement sa personne et l’échange relationnel hors d’un échange (politiquement) qualifié (sophistiqué, qualifiant) ni sous l’intimation de valeurs, principes ou motifs purement mercantiles.

S’il nous faut examiner la valeur des choses que nous échangeons, via les flux marchands, qu’elles fussent sentimentales (sensuelles), intellectuelles, sensibles (dans l’agir du choisir, dans un projet politique) ou physiques, cela revient à accomplir ou à substancier notre échange relationnel au monde (en accordant nos gestes intimes à nos valeurs et aux objets d’usage, ou notre temps existentiel aux modes de vie).

 

Mais l’abondance de sens, de filières significatrices, et la construction de la personne comme rouage et fonction de l’échange sont aussi des productions de l’histoire (du capitalisme).

Et l’intrication normée du moi, du je intime et spirituel, dans la construction du lien social, avec les divers protocoles (réels ou symboliques) des plans et espaces des échanges (privé, spirituel, professionnel... ; cf. Max Weber), et notamment des échanges marchands, selon les valeurs et les pratiques néo-libérales serait une déviance sociale (sociétale), une pathologie (compromission du moi, déconsidération d’autrui)*.

 

* Le capitalisme décompose le lien social et nous altère physiquement ; lorsqu’il s’apparie à la morale, il nous dérobe notre corps et son agir ; il est source de confusion psychique (messages brouillés, valeurs diverses et contradictoires).  Il n’en demeure : c’est notre réel (les valeurs de la gauche se sont dissoutes en 1981 dans cette prise de conscience), et l’argent est extraordinairement pratique, utile, social, gratifiant, –carburant du progrès technique et forme de notre existence. Comment dès lors prétendre circonscrire et contrer ses effets anti-sociaux ou contre-intimes ? 

 

 

• critiques (anthropologiques) du (néo)libéralisme

 

Dans son évaluation critique du libéralisme, et afin de construire un modèle sociétal contraire à toute anomie, Rawls suggère de prendre comme référant l’autonomie du sujet social dans sa compatibilité avec système commun socialement et individuellement producteur (voilà qui tranche avec l’inégalité nécessaire et bienfaitrice) ; selon l’économiste Amartya Sen  : [une société juste et fonctionnelle ne retiendrait] “ni l’égalité des moyens (droits et ressources), ni l’égalité des résultats (niveau de bien-être), mais l’égale capacité des individus à transformer des moyens en résultats conformes à leur conception de la vie; (...), [D'après Jacques Généreux : Les vraies lois de l’économie, 2001] ; sachant que le désir ne fait jamais que suivre ses conditions d'existence objectives, -ce qui constitue une sérieuse réserve quant à la mise en pratique de tels vecteurs !

 

Selon Jean Weydert (Études Mai 1990), “Pour Milton Friedman le problème fondamental de l'organisation sociale est la coordination des activités économiques d'une multitude d'individus ; (...) seule la technique des marchés, l'échange, compatible avec la liberté, réalise cette coopération : pourvu que la transaction soit bilatéralement volontaire et informée, les deux parties sont bénéficiaires. (...)L'existence d'un marché libre n’élimine pas le besoin de gouvernement”, de justice sociale (c’est la position politique nèo-maoïste du “moins mauvais maître possible”), ou, suivant Jean Weydert, plus exactement d’égalité de traitement  ou de justice distributive (“à chacun selon ce que produisent lui-même et les instruments qu'il possède”), (...) laquelle exige l’inégalité issue du marché. Celui-ci est comparable à une loterie, à laquelle plusieurs participent sur un pied d’égalité, mais un seul gagne -et c’est bien ainsi.” Jean Weydert critique cette démarche : “la seule obligation faite à chacun est d'observer les règles de l’échange, d’un échange fondé sur la séparation radicale entre les individus (...) La figure de l’autre en définitive est celle de l'ennemi” ; mais sa critique se fonde sur l’éthique et, me semble-t-il, dilue la force de la vision de Friedman : que l’échange, entendu en son sens étendu ou anthropologique (sorte ‘d’échange social total’), est centralement constitutif, producteur, socialisant, et que seul un système de libre-échange peut assurer au mieux la pertinence des échanges.

 

Gilles Deleuze (Instincts et institutions, 1953, L’Anti-œdipe, 1972) : une vision historique et anthropologique du capitalisme ; extraits : “L’État (...) exprime les rapports autonomes de domination et de subordination. (...)flux de producteurs et flux d’argent (...) [lesquels] dépendent d’une transformation des structures agraires (...) ; décodage des flux de production par le capital marchand ; décodage des États par le capital financier [= ‘axiomatique’ du capitalisme]. (...)La définition du capitalisme (...) pas par le capital commercial ni par le capital financier (...), mais par le capital industriel ; (...) le capitalisme  ne commence (...) que lorsque le capital s’approprie directement la production. (...) Le capital devient un capital filiatif lorsque de l’argent engendre de l’argent, ou la valeur une plus-value. (...). La valeur se présente tout d'un coup comme une substance motrice d’elle-même. (...)Le décodage des flux (...) se fait par une ‘désarticulation’ qui assure la ruine des secteurs traditionnels. (...) les signes de puissance (...) deviennent des coefficients directement économiques, au lieu de doubler les signes économiques du désir et d’exprimer pour leur compte des facteurs non économiques déterminés à être dominants. (...) Le capital comme socius (...) se distingue de tout autre, en tant qu’il vaut par lui-même comme une instance directement économique, et se rabat sur la production sans faire intervenir de facteurs extra-économiques qui s’inscriraient dans un code.” Deleuze étudie les rapports de dynamiques propres (sociale, productive, capitaliste), disjoint capital financier et production (ainsi qu’innovation).

De très nombreuses pages sont consacrées à l’État, monstre froid et ennemi mortel (même si D. conçoit, dès le commerce médiéval ou dès 1789, un dépérissement de l’État). Le rôle de l’État semble encore surestimé, parceque, grand maître du codage, il est encore perçu comme producteur central des normes sociales. L’erreur tient à la thèse anthropologique : l’inscription serait première par rapport à l’échange (“Ce n’est pas l’échange qui compte, c’est l’inscription, l’enregistrement sur le corps plein sans organes (Terre, despote/État, Capital), quasi-cause de la production et représentation-source pour le socius, -sauvages, barbares, civilisés”, A-Œ, 1972) ; contenus déterritorialisés d’un côté (marchandises, substances, process...), marquages culturels de l’autre, ceux-ci formant même, mieux que la détermination économique en dernière instance, le principe des grandes scanssions de l’histoire (sauvage/Territoire, barbares/état, civilisés/schizophrénie) ; ce qui permet d’instruire une histoire (téléologique) : en aval une territorialisation première et en amont la déterritorialisation par le capital (ou le dépérissement de l’État).

Parallèlement l’axiomatique du capital, faussée par les forces (déterminantes) de déterritorialisation, est créditée, de façon quelque peu optimiste, d’un effet universel de désir ; or il n’y a pas moins d’universel investissement du désir par exemple dans le socius médiéval, ou dans toute société alo-capitaliste, -ce d’autant plus d’ailleurs  que “le désir est autant objectivement créateur du réel qu’il le suit et l’épouse” ; faire du capitalisme une universalité supra-catégorielle  revient à s’interdire tout vrai comparatisme critique entre sociétés premières, sociétés traditionnelles et autres formes diverses de sociétés modernes.

 

Pourtant la machine primitive a bel et bien à voir avec la Terre et la territorialité, comme elle a à voir avec les signes (flux et échanges) et avec les techniques (politiques, physiques) ; mais si l'échange n’est pas seulement cet échange ritualisé décrit par les ethnologues, ni les structures de parenté (même si il ne doit pas être réduit à la sphère de la circulation), il n’est pas non plus le mode ou l’expression d’une quasi-cause substituée au procès réel de production...).

Analysant très finement ce qui différencie la société capitaliste du pré-capitalisme D. note bien que l’échange s’est "abstraitisé" (une axiomatique), -et pour ainsi dire désubstancié, -mais ayant récusé le caractère fondateur dudit échange, il ne peut plus opposer fondamentalement l’échange versus capitaliste à l’échange tel que pratiqué par d’autres sociétés.

Pas plus qu’il n’y a en aval de cruauté primitive d’une inscription transcendante, Urstaat, (ou de dénaturation), il ne saurait y avoir en amont quelque axiome immanent de déterritorialisation comme horizon de toutes les formations sociales, ou de vérité universelle d’un échange désubstancié : les sociétés primitives et/ou traditionnelles pratiquent l’échange sous tous ses aspects (économiques, sociaux, affectifs, symboliques...), car en elles, la territorialisation n’est pas seulement inscription ou codage, mais aussi substanciation (don/produit) et/ou affectation (cause).

En opposant un flux de travail (abstrait, déterritorialisé ou naturel selon Marx) à un flux d’argent, D. ne rend pas compte du caractère particulier que prend l'échange rentable dans le capitalisme, où il n'est plus échange entre toutes les parties, mais échange leurre de tous entre tous (de peu à peu) et échange réel de la presque totalité avec un très petit nombre.

 

 

• critique des critiques

 

La mise en cause du crédo libéral à raison de son caractère abstraco-fictif ne saurait résister à un examen approfondi : plus que d’une théologie, il s’agit d’une téléologie économiste, qui a sa raison d’être : modélisation induite et inductive, la croissance (le pari, le crédit, la créance, la croyance, le profit en sont des déterminants) liée à la concurrence, de toutes manières génére le développement (même si l’on doit distinguer celui-ci de celle-là), téléologie sans laquelle la capacité transformatrice du capital (notamment au plan des mœurs) ne saurait se concevoir (le mode de production se contre-produit dans la vision d’une logique mercantile (financière) de l’échange, -ou inversement) ;

le marché financier, aujourd’hui prédominant, est par nature spéculatif ; l’équilibre instable (virtuel/irréel) mais dynamique, c’est aussi une valeur (sociale, morale), liée à celle “d’anticipation” concept clé cher aux économistes), très humaine.

La mise en cause selon des motifs humanitaires (l’inégalité, l’iniquité) reste idéaliste ; par contre, d’Adam Smith à Rawls, les théories de principes sociétaux  nécessaires et suffisants (“justes”), pour être des artefacts, favorisent des déplacements conceptuels (ou de notions), et n’en sont pas moins riches de clauses critiques.

La mise en cause “scientifique” (le capitalisme ne peut fonctionner, ne fonctionne pas et/ou le capitalisme ne fonctionne pas selon le crédo libéral) ne démontre pas que l’idée centrale du crédo libéral (toute société se définit comme un système d'échanges ; la dynamique libérale du système est productrice) soit fausse.

 

Ève Chiapello et Luc Boltanski (Le nouvel esprit du capitalisme, 1999) n’a pas tort de dire que le capitalisme évolue en fonction des critiques qui lui sont adressées ; j’en dénote au hasard en compilant la Presse quelques exemples : Jean-Paul Fitoussi, responsable économique, Président d’un Observatoire des conjonctures économiques : “une hiérarchie normale des valeurs exige que le principe économique soit subordonné à la démocratie plutôt que l’inverse (...) Que l’orientation des politiques de l’Union soit pour l’essentiel indépendante de tout processus démocratique est à la fois contraire aux traditions politiques des peuples européens (curieuse affirmation) et dangereux pour l’efficacité économique de l’ensemble”...(La règle et le choix, 2002) ; ‘dangereux pour l’efficacité’..., il me semble que les experts et les grands acteurs capitalistes, hors process démocratique, ont été d’une efficacité certaine ; d’autre part les ONG et les opinions publiques (contrôle démocratique) ont une influence évidente sur la décision politique ; enfin il n’est pas pertinent d’opposer capitalisme et démocratie ; bref, n’importe, constatons simplement que la critique remonte, et que de grands organismes économiques mondiaux pratiquent l’auto-critique.

Nicholas Stern (économiste en chef à la BERD, Banque européenne pour la reconstruction et le développement, in Le Monde, 22 juin 99) : "La présence d'institutions fortes et démocratiques, la transparence du processus de décision de l'État, la supervision du secteur financier, la flexibilité de la main-d’œuvre sont des éléments fondamentaux du bon fonctionnement d'une économie de marché".

Claude Smadja, directeur général du Forum économique mondial de Davos, (pour son thème 2001, la réduction des fractures économiques sociales ou éducatives) : “Après la conviction (la décennie 90) que le processus de mondialisation apporterait des réponses à toutes les questions suivant le proverbe chinois ‘quand la mer monte, tous les bateaux montent', celui-ci est entré dans une nouvelle phase : (...) l'action correctrice des gouvernements est nécessaire ; parallèlement, le public attend des entreprises qu'elles soient autre chose que des entités économiques et qu’elles adoptent une approche ‘citoyenne’ intégrant leurs responsabilités sociales. Ensuite on s’est rendu compte que la mondialisation se développait plus rapidement que notre capacité à la gérer. Enfin, on s'est brusquement aperçu [!], (...) que les pays en développement avaient un ordre du jour propre qui ne correspondait pas aux préoccupations des pays développés” (La tribune de l'économie, 25 janv. 2001).

Ou bien, Jean Marie Coulon, premier président à la cour d’appel de Paris : “crise morale [de la société] dès lors que l’individualisme et l’argent sont érigés en valeur suprême”...(La Justice à l’épreuve, 2002)

 

En somme, renaissant perpétuellement de ses cendres,  toujours différent et toujours le même (c’est la preuve qu’il marche), le capitalisme serait plus une forme sociale qu’un système, où nous nous complaisons et que nous reconduisons spontanément depuis cinq siècles (ou deux mille ans). Suffirait-il alors d’écrêter ses cimes, d’apporter un correctif à ses dérives (la réduction des services publics, le dégraissage du personnel) ?

 

Selon Antoine Rebiscoul (Le Figaro 11 juill. 06), « [dans la financiarisation actuelle de l’économie]  ce n’est plus la substance propre des actifs qui compte, mais la valeur de leur liaison » ; ce qu’il met en corrélation directe avec les nouveaux domaines ou nouveaux types de production, tel que le marché de la captation de l’attention (à travers les droits d’accès) : « la consommation ne consume pas entièrement le produit ; elle engendre de puissants effets sur des tiers, elle les implique dans le modèle économique. […] Avec le modèle de la vente des droits d’accès (…) le client reconduit à chaque instant la validité future de la relation avec son fournisseur ». Autrement dit, il est pompé (et/ou fourni) en continu (mais notre auteur en tire optimisme car il croit au libre arbitre des consommateurs et à la puissance de libération des réseaux). La financiarisation  (dématérialisation ou virtualisation de l’économie) « reconfigure le périmètre de l’entreprise non pas dans son intériorité productive, mais en fonction de ses possibilités de valorisation ». (Il n’en demeure : il s’agit toujours de valeur, de plus-value, de commerce).

 

écoutons cette dernière critique, celle de l’économiste Andrew Shapiro, qui derrière la permanente reconversion du capitalisme, et à propos d’Internet (et des mœurs et comportements), distingue une évolution, “commercialissime” :

Le phénomène déterminant, c’est l’introduction des forces commerciales sur ce terrain. Leur fusion avec le courant libertaire provoque un étrange résultat : d’anti-establishment, le Net devient un forum anti-gouvernement, anti-intervention publique, anti-réglementation, et beaucoup moins anti-entreprises ! Le résultat, c’est la création d’une sphère où le gouvernement est affaibli, où le pouvoir individuel croit un tout petit peu, et où le poids des entreprises, qui dictent la législation et la réglementation, est gigantesque”*. (Libération, 18juin99) ; manière de répondre par avance aux sirènes du contrôle démocratique (cf plus loin).

 

Analyse comparable de Lawrence Lessig, professeur de droit aux States (in Libération, 2002): “Dès l’origine, à la fin des années 60, ses concepteurs ont adopté un type d'architecture de réseaux qui implique que les propriétaires des tuyaux n'ont aucun contrôle sur la façon dont il se développe (...) Cette architecture originelle a mis en danger des intérêts existants (télécom, opérateurs de câble, propriétaires de contenus) (...) Une alliance s’est nouée entre les intérêts commerciaux et les gouvernements pour modifier l'architecture de base de l’Internet : (...) la plateforme neutre sera remplacée par une plate-forme très commerciale et discriminante ; les développements d'applications et l’émergence de nouveaux usages seront mis en œuvre par les grandes institutions ou entreprises qui contrôlent le réseau. [Or] l’architecture du réseau [était]devenu un outil fondamental de régulation...” -pour répondre de ce nouveau capitalisme perpétuellement adaptatif ?

 

 

• échanges, croissance, profit ; désocialité

 

Le profit constitue-t-il un frein dans la fluidité des échanges ? à première vue l’on serait tenté de répondre par l’affirmative, l’argent du profit étant réalisé, immobilisé, sans autre productivité que celle de sa transformation en acquis ; mais en parallèle ce profit est présenté comme un principe dynamique (un aiguillon propre à nous motiver et à mobiliser nos forces de production ); en tant que plus-value, sa consomption, ses dynamiques, stimulerait peut-être la croissance.
Cela ressort-il bien de la croissance ? Il peut sembler logique d’imputer à la fluidité ou à l’universalité des échanges l’augmentation des biens matériels et psychiques, voire la régénération du lien social (la généralisation des échanges constituant le facteur d’une abondance autorégulée) ; il ne l’est pas de l’imputer à la croissance elle-même ou à la systématisation de sa logique, laquelle n’apparaît qu’exprimer la logique du crédit, cette fuite en avant engageant et la suggestion de besoins superflus, et la paupérisation de ceux qui n’y raccrochent pas, —car la croissance est compétitivité, concurrence*.

Que le profit soit un frein, que la lutte des classes soit signe de malheur, et voici que la généralisation des échanges dans la société libérale avancée et sous le régime de cette croissance nous apparaît incomplète, imparfaite, remplie de nodosités, de rugosités. (En outre les dés seraient pipés : le capitalisme contemporain, la financiarisation  de l’économie, saperait, pour des profits immédiats, les actifs de la croissance (productivité réelle, recherche et développement sur le long terme); ce n’est pas grave, elle est quand même au rendez-vous).

 

* économie et société de concurrence, de concurrences de toutes sortes : concurrence entre plusieurs régimes de l’argent, -et/ou plusieurs régimes de l’échange : l’argent ne rend pas de la même façon à tel ou tel endroit ou dans tel ou tel secteur, -sur les prémices des vases communicants : plus il rend en un point ou dans certaines zones moins sont corrélativement rentables tous les autres points ou toutes les autres zones, le système toutefois étant agité (ébullition) par une telle compétition (bulles financières) que chacun croit y profiter.

Des régimes divers ou des polarités ont été ou sont établis, système où l’argent public, collecté sur l’ensemble, est quasi fixe (ne rend pas), et l’argent privé au contraire ;  Banques centrales (parité aux autres monnaies) et marché (joint bund) ; [en ce sens la théorie marxiste de la plus-value serait vraie dans son principe ; c’est la masse des salaires et  la fiscalité qui forment le pôle négatif (étalonné par les banques centrales) face aux pôles actifs de bénéfices].

Concurrences entre personnes.

 

 

• progrès et désocialisation

 

Serrons de plus près cette croissance, ce profit, ce système ; selon l’économisme libéral, le profit (la grande fortune) est un inducteur, et, ajouterons-nous,  l’échange qu’il contre-produit (ou dans lequel il se produit) est à son image : il n’y a d’échange profitable que parce qu’il y a déséquilibre dans l’échange.

Mais qu’importe que la redistribution équitable des plaisirs (produits, biens, services), leur (ré)appropriation collective (actionnariale ou autre) n’aie pas lieu, ou ne puisse avoir lieu (selon un libéralisme démocratique, ou selon un socialisme producteur), au regard de cette question : où nous engage une telle réappropriation collective (actionnariale ou salariale) ?

Réponse : vers la mercantilisation sociale, la dégradation du lien social, disions-nous ; puisqu’une économie de croissance (d’iniquité et de plaisir) est aussi économie du manque (la croissance à venir, la croissance confisquée), économie qui organise ou contreproduit la carence, contrairement à l’économie de subsistance (cf la société paléolithique telle que repérée par Salhins) ou “d’abondance”).

En tout cas, structurellement (et semble-t-il historiquement), elle organise la carence spirituelle.

 

Retournons la question encore une fois :

La théorie de Hayek [c’est parce qu’elle est inégalitaire que la dynamique du capitalisme génère progrès et prospérité] pose que cette dynamique est entée sur l’inégalité sociale (l’inégalité produit profitablement la dynamique économique) ; toute cette économie ne tient qu'en marche, selon une croissance ; dans le même temps il y a induction (ou conduction) d’inégalité sociale : à mesure qu’ils sont plus inégaux, les gens ont “davantage” (société de consommation et de progrès). La liberté des échanges marchands génère une croissance productrice et productive (accélération et la stimulation du progrès scientifique), mais tout est marchandisé (l’espace, les énergies, les éléments terre/eau/air/feu, l’idée, la production, l’atome, le gène, la culture...).

Sachant que le système d’échanges se fonde (perversement) sur la seule modalité de la transaction  libérale (échange dématérialisé, désubstancié par sa rhétorique), l’on en conclura que plus les gens sont inégaux (et plus ils échangent quantitativement), moins ils échangent qualitativement ; il y a dégradation du lien social (idem du lien public, carencé par le privé). Voilà notre bouquet : désubstanciation sociétale, inégalité sociale, progrès croissant.

 

Que donc il serait bon que nous choisissions les objets et les déterminants de cette croissance. Il y a des modèles, des exemples : des civilisations, des époques, expriment des sentiments, d’autres non ; affaire d’affect , seul l’affect qualifie et clarifie la relation, le lien social, familial, professionnel, générationnel, amoureux.

Sous ce rapport l’on peut et l'on doit comparer, juger, choisir : des polynésiens aux marchands européens en passant par les mongols,  les sociétés pratiquèrent très diversement l’échange (social, économique, symbolique).

Considérons les sociétés primitives, où chacun se connaît, et où, au bout du compte, le contrôle social est plus grand ; sociétés d'autant plus intégrées et intégratrices (socialisantes) qu'elles sont totalitaires, - sociétés où le consensus social est total, coercitif, aliénant.

En comparaison, la société capitaliste, en généralisant des rapports sociaux désaffectés et anonymes, génère une liberté individuelle ; retour à Montaigne, cet individualiste a-social (libéral avant l’heure : “Je ne trouve rien si cher que ce qui m’est donné et ce pourquoi ma volonté demeure hypothéquée au titre de gratitude (...). Le nœud qui me tient par la loi d’honnêteté me semble bien plus pressant et plus poissant que n’est celui de la contrainte civile [...] J’eschape ; mais il me déplaît (...) d’être hors la protection des lois et sous autre sauvegarde que la leur...”* ; partisan d’institutions générales, réticent vis à vis de toutes relations personnelles d'interdépendance ou de protection (par exemple la vassalité, mais aussi, versus moderne, le clientélisme, le lobbies, les réseaux).

Certes Montaigne discerne ainsi l'avantage de rapports commerciaux contractuels anonymes, en lieu et place de tout échange, mais il ne saurait s’agir ici de la généralisation à toute relation de tels rapports ; en bien d'autres passages des Essais Montaigne exprime sa défiance pour le trafic, le savoir, le pouvoir, les inégalités, les contrats et le double langage de sa propre société.

à quand, l'origine historique d'un tel esprit et de telles libertés (le marché, la transaction, la croissance financière) ? Et que se passe-t-il ailleurs, en Orient par exemple ?

 

 

• l’Europe d’hier et l’échange-don

 

L'historienne américaine Natalie Zémon Davis rappelle que : “[selon l'historien de la Grèce antique Moses Finley (in Le monde d'Ulysse, 1954)], s'il y avait une chose qui était tabou dans les échanges homériques, c'est le gain”,et que “[selon l'historien médiéviste Georges Duby], après 1180, l'esprit de profit fera sans cesse reculer l'esprit de largesse", ou encore que, “[selon le diplomate-historien Karl Polanyi (La grande transformation, 1954), ne se produisait] qu’à la fin du XVIIIe siècle le passage d'un système de réciprocité (...) vers le marché autorégulé englobant tout”.

On ne saurait de toutes manières opposer l’avènement (ou l’émergence) de rapports marchands, attestés depuis fort longtemps (depuis le commerce de minéraux pendant la préhistoire, jusqu'aux rapports salariés et marchands de l’Égypte et de Rome...) à une supposée économie générale du don propre à des sociétés et/ou à des périodes anciennes ; il n’existait avant le XII-XIIIe siècles, au sein d’une économie discontinue d’échanges marchands, ni les quantités, ni les voies d’un échange global et généralisé**, pas plus qu'on ne saurait inversement caractériser les sociétés antérieures au XVIe siècle comme des économies concomitamment régies par le don, puisque les pratiques du don et du contre-don n'y constituaient qu'un phénomène lacunaire au plan des dynamiques économiques réelles*** ; il n’est donc pas certain qu'opposer l’économie marchande (et ses valeurs mercantiles) à l’âge d'or de la réciprocité sociale soit des plus pertinents.

Mais il n'en demeure : les ‘évolutionnistes’ mis en cause par l'historienne NZD (Lévi-Strauss, Sahlins) n’ont pas tort d’observer que “les transactions commerciales (...) ont remplacé de nombreuses formes de réciprocité”, et qu'une économie concurrentielle s'est étendue à tout (“tout est marchandisé"), quand bien même, marginalement, subsisteraient des domaines privés affectifs relevant de rapports altruistes ("Le shopping moderne et les célébrations des fêtes, comme par exemple Noël,  sont des moyens de retrouver la part intime de la vie sociale et  la part personnelle de la propriété”), ... + les anniversaires, c'est un peu court, -d'autant que les cadeaux ne valent que pour leur prix marchand !

Inauthenticité (et/ou bienfaits) du capitalisme ? Nous ne désespérons pas d'apporter au lecteur une réponse... Le libre-échange a que diable une histoire, et cette histoire devra bien parler.

 

* cité par l'historienne américaine NZD, qui, à propos des pratiques du don en France au XVIe siècle, estime “que les présents (...) à travers les frontières du statut et du niveau d'éducation (...)  donnaient une forme d'expression à la réciprocité très tendue, mais néanmoins véritable, entre des inégaux au sein de l'ordre social et économique” (Essai sur le don dans la France du XVIe siècle, 2000, trad. fr. 2003).

** et ce d'autant plus que toute la pratique économique visait à stériliser les masses monétaires (voir notamment Jacques Le Goff, in La civilisation de l’Occident médiéval, 1964 : “[jusqu’au XIIIe siècle] il était normal que cette indifférence et même cette hostilité à la croissance économique se reflétât dans le secteur de l’économie monétaire”), -c’est l’interdiction du crédit.

*** Marc Bloch parle surtout de liens sociaux et économiques configurés par la relation personnelle (vassalité) tout en soulignant "l'atonie des échanges et de la circulation monétaire [...] l'échange, au sens strict, tenait dans la vie économique  [la circulation des biens notamment] moins de place sans doute, que la prestation” (La société féodale, 1939).

 

 

• de Mycènes au Liban (argent et culture)

           

Non pas supprimer le capital, ni le moraliser, mais rendre la marchandise au commerce : à toutes formes de commerce qui soient bénéfiques aux deux parties, et, dans nos sociétés intégrées (ou d'intégration) autant aux deux parties qu'à tous ; en somme exclure toute forme ou pratique de commerce de pur profit* ; ce sera reporter la banque à son rôle culturel (comme au Liban). Cet “échange substancié”, le commerce est capable de le produire : la valeur non mercantile de la chose échangée doit entrer en ligne de compte ; pas d’icône (Pokémon), pas de camelote, mais une exigence qualitative, qualifiante : un commerce à valeur ajoutée, à travers un contrôle démocratique (on croirait entendre un écologiste suédois..., -pourquoi pas ?, les écoles de Suède intègrent de séduisantes valeurs communautaires esthétiques et pratiques).

 

De grands esprits d’hier ont considéré que le commerce introduisait parmi les hommes un progrès dans les mœurs, une pacification heureuse rompant avec l’esprit des guerres (le commerce leur apparaissant comme chose nouvelle) ; nous ne saurions nous arrêter à cette généralité qui passe sous silence les formes historiques du commerce (ou qui ne distingue pas l’idée de commerce  des réalités du grand commerce), –la guerre ou l’oppression (des esclaves mycéniens aux diamants mortifères d’Afrique).

 

Mais, pour peu qu’il soit issu d’aires moins barbares que celles de l’Occident (de l’Espagne aux Pays-bas), le grand commerce a aussi ses formes nobles ; au Liban, hier, la démocratie citadine, le cosmopolitisme, les écoles de pensées, l’humanisme et la fraternité (relayé par les Druzes en rupture totale avec toute ritualité monothéiste et avec l’Islam ; Benjamin de Tuleda, voyageur chrétien écrit en 1170 : “On les appelle païens et incroyants, parce qu'ils ne se rattachent à aucune religion, (…) et ne sont soumis à aucun roi ni prince...”) ; c’est cette culture qu’il s'est agi de démanteler (d’autant qu'elle couvait une mouvance communiste), dès 1948 et jusqu’aux années 90 de la “reconstruction" : c’est à dire d’une transformation fondamentale de l’économie (le Liban comme transition entre le Tiers monde et la City) ; selon l'économiste libanais Charbel Nahhas (in Libération, juin ? 2002), “la disponibilité  de ressources financières rend le comportement de l’économie libanaise identique à celui d’une mini-économie pétrolière [d’import de biens de consommation et d’une carence ou surcoût de la productivité] ; (...) nous avons été submergés par un afflux de capitaux en provenance de l’étranger».

Patrie traditionnelle du crédit et de la solvabilité bancaires**, mais désormais terre d’investissements financiers***, sous un régime juridique et institutionnel abstrait qui (que) suscite un turbo-capitalisme de rentabilité plutôt que de production, (“les revenus de détenteurs de capitaux financiers(près du tiers du PIB) sont totalement exonérés d’impôts”), conforme à une politique économique délibérée de déficit  (telle celle des USA), le Liban est ainsi devenu moderne, -non par l'atavisme de sa dynamique financière, mais par l’apparition historique d’une inégalité sociale structurelle (“... cette pompe à capitaux extérieurs continue de fonctionner. Son entretien coûte cher. Résultat, on a un type de société très inégalitaire, où il y a en même temps un coût de la vie très élevé, une forte consommation ostentatoire, mais aussi du chômage, des immigrés qui viennent en grand nombre, attirés par le niveau relativement élevé des salaires”).

Histoire connue : des riches de plus en plus riches, des pauvres (moins pauvres) de plus en plus nombreux...

 

* Notons ce que relève un économiste jordanien :

très tôt, l’islam a considéré que l'activité économique reposait sur la transaction et que toute richesse engendrée par l'absence de travail devait être prohibée ; l'usure est associée dans le Coran à l'injustice et à l'exploitation”.

** La chose est connue : quelques soient les circonstances historiques, la banque libanaise n'a jamais failli, culture de la parole donnée jointe à celle du financement, ...et archétype du système wala.

*** la “reconstruction” du Liban fait songer au projet capitalistique développé, au prétexte de la création de l’État israélien, par les banques anglaises et les services secrets américains, à savoir, selon la réification progressive de sa territorialité, un programme d’investissement immobilier en Israël, -dont les crédits, anticipés au budget, sont pérennisés en deça des aléas de la vie politique [selon La tribune de l’économie (28XII2201), le futur budget 2202, réparti entre infrastructures et Défense, est en augmentation de 12% pour les nouvelles implantations et les subventions aux industries de la bande de Gaza].

 

 

• ‘propriété privée’

 

L’on décrit notre monde, par opposition à celui des sociétés traditionnelles, comme celui de la propriété privée, -la société traditionnelle, étant elle monde d’investissement ou de ‘propriété’ collective des biens (sur le terme ‘propriété’ même s’il y a glissement d’un sens économique, —propriété des moyens de production, à un sens anthropologique, –ce qui m’est propre, ce glissement est révélateur).

Rien n’est plus faux, rien n’est plus trompeur puisque c’est exactement l’inverse : il n’y a pas de propriété privée, ni même de vrai sentiment de propriété dans nos sociétés puisque tout s’y vend, biens, personnes, services,  tandis qu’il y a au contraire une propriété intime dans la société traditionnelle, une identité profonde entre l’individu et ses biens personnels (à tel point qu’il ne saurait y avoir nulle idée d’une quelconque appropriation  objective d’un objet abandonné, identifié comme n’étant pas mien, d’un arbre, d’un site...).

 

Peu importe, si elle reste mesurée, l’inégalité entre riches et pauvres ; ce qui compte, si toute langue est échange (une syntaxe, quelle qu’elle soit, d’unités sonores signifiantes, est toujours nécessairement échange), c’est que l’échange, avec la constitution ou la régénération du lien social, opère sur des  contenus substanciels, para-créateurs.

(le langage est né des pratiques d’échanges ; échanges incessants de menus objets chez les primates ; importance de l’alliance, de l’alliance étendue : des mêmes mots, des mêmes valeurs, se sont propagés, relayés par groupes et familles ; idée étendue de la famille et de la parenté ; il y a équivalence entre la propagation du langage et la propagation d’une identité culturelle).

 

 

• contradictions du capital

 

Marx : contradiction entre les forces productives et le mode de production, soit, entre les impératifs de la concurrence (capitalisme-démocratie-consumérisme + l'exploitation-aliénation des masses, et la liberté de chacun (liberté, plutôt que mieux être) ; rentabilité et licenciements vont de pair, -à l’État revient d’être une Caisse de secours.

Contradiction de même sorte : la concurrence engendre le monopole et cesse d’être émulative, -le mode de production est en contradiction avec lui-même (le symptôme en serait le marché boursier, indice du virtuel) ; autre contradiction : le système économique, qui organise la redistribution des gratifications de la production, moyennant labeur, s’avère incapable, après avoir transformé le monde entier en salariat, à assurer même à ses salariés ce labeur producteur, - il ne saurait y avoir demain quatre milliards de consommateurs-salariés-producteurs-... Au demeurant, “les sociétés post-industrielles se comportent comme si elles étaient désormais en mesure de se passer d’une partie de leur population pour prospérer” ou : “Les entreprises n’utilisent pas de la main d’œuvre parce qu’elle est bon marché, mais pour produire des biens vendables sur leur marché” (J. Généreux : Les vraies lois de l'économie II et I, 2001, 2002).

L’étendue réelle du marché (du libéralisme) : “la plupart des biens de consommation ne font pas l'objet d’un prix librement négocié entre l’acheteur et le vendeur” (J. Généreux) ; symétriquement les aires ou domaines où s’exerce un libéralisme réel (rapports entre les grands acteurs de l’économie) ne sont pas ouvertes à la plupart des gens.

Enfin, pour le côté tendance : la croissance artificielle (architectures financières) supplante, via la rentabilité, la croissance créée (productivité de ré-investissement).

 

 

• contrôle démocratique ?

 

Parallèlement au système, on assiste à une démocratisation mondiale ; le contrôle des consommateurs sur la qualité physique s’accroît, ainsi que celui politique des citoyens sur leurs dirigeants (Allemagne) ; idem le contrôle des petits actionnaires, les droits des citoyens, etc.).

Il semble qu’il s’agisse là également d’une logique douée de sa propre dynamique, appelée à monter en puissance ; mais elle ne semble entrer en contradiction avec la logique de rentabilité que latéralement.

 

Il ne saurait suffire de rationaliser le capitalisme, comme hier (cf  Keynes, ou Polanyi), ou comme aujourd’hui en rationalisant l’architecture financière mondiale (en sorte que par des taxes, des déséquilibres sociaux contre-productifs soient réduits), il faudrait sinon le récuser (en lui opposant d'autres valeurs), du moins l’évaluer en invoquant d'autres contenus, d’autres objectifs.

Cette montée démocratique doit se donner à des contenus, des objectifs : en dénonçant l’éthique marchande (l’enrichissement par le mercantile), le fétichisme de l’objet (du produit),  et l’effondrement idéo-affectif qui leur est subséquent (+faire de cette montée démocratique un outil pour de tels contenus).

 

Opinions publiques : elles forment, avec l'émergence des manifestations, un nouvel agent historique central dans cette fin du XXe siècle, du fait de la révolution des communications, du développement des médias.

Opinions publiques et manifestations de masses ou sectorielles ; de plus en plus opérantes dans les démocraties des pays industrialisés (États-Unis, Europe) où le processus politique passe de plus en plus par elles (telle l'opinion publique en Allemagne qui y forme continûment un processus consensuel nouveau influant la politique, ou la “contrainte” citoyenne qui s'exerce sur la stratégie commerciale de Microsoft aux USA, ou les manifestations de tous ordres en France qui pèsent sur les décisions gouvernementales), elles ont déjà été, “spontanées" et/ou “manipulées" historiquement déterminantes : Révolution iranienne de 1979, effondrement du régime de Cesaucescu en Roumanie et chute du mur de Berlin en1989, Intifada palestinienne  dès 1987, fin de l'apartheid en Afrique du Sud, crise politique italienne de 92-93, marche fondamentaliste de Casablanca ou alternance démocratique au Sénégal en mars 2000, seraient distinctes des phénomènes de masse antérieurs (front populaire en France, fascisme en Italie, montée de l'Hitlérisme), d'une part du fait du rôle qu'y jouent les médias, d'autre part (selon l'historien Hobsbawm) du fait qu'elles correspondent à l'urbanisation des sociétés (ou à la fin du monde paysan) : il y aurait autonomisation d'une dynamique idéologique des masses ; (ce sont un peu là des questions d'école).

 

 

• un mode d’exploitation (la sagesse des dirigeants)

 

Tout sera organisé pour.

Le marketing, la concurrence, la productivité feront en sorte qu’aucune disponibilité financière ne se transforme en ressource, que tout argent ne trouve son objet.

“Rentabilisé” de la sorte, le consommateur de demain (et d’aujourd’hui), -consommateur absolu, par son identité sociale et parce qu’il constitue l’un des maillons de l’économie (en consommant, il produit)-,  n’aura guère changé de situation par rapport à celle du prolétaire condamné à reproduire ad infinitum sa condition d’exploité.

Tout sera organisé pour ; -pour une société rationalisée, pour une offre démocratique (et une rétribution équilibrée), pour une rentabilité de l’argent et des entreprises, etc.; le citoyen consommateur aura une existence lisse, selon la logique commerçante de la promotion sociale, celle-même de ses propres moyens d’existence ; l’argent sera rentable et le citoyen-consommateur légitimement “libre-exploité”, -sur ce consensus idéologique majeur (d’une dynamique sociale marchande) : aux profits de quelques uns, au profit des meilleurs, et au profit de tous ; il reconduit sa condition de consommateur, tout autant exploitant qu’“exploité”.

Si bien qu’au bout du compte le profit (ou l’argent manquant) aura remplacé le patron ou l’État.

En donnant la liberté à tous d’entreprendre librement de commercer, [en visant à un progrès technique et à une société rationalisée, et à travers une société qui n’est de croissance que parce qu’elle organise la carence (l’exploitation)]*, l’homme n’aura fait que s’exploiter lui-même, en s’homogénéisant avec ses exploiteurs, via l’argent.

 

“Société rationalisée” (ou “éclairée”), prétendent (sauf exception) les grands vieux sages des hautes sphères de l’univers politique et.

Dans toute cette affaire rationnelle (y compris Hegel et sa conception néo-marchande de la société civile), il s’agit d’abord de la rationalité du commerce mondial (OMC, FMI, OCDE, INSEE, etc), laquelle s’avère être la seule rationalité “possible”, concrète (seule terre de pratiques et d’un langage commun, et matérialité même de toute édification communautaire, -par ex. la construction de l’Europe passant d’abord par celle de son économie) ; laquelle subsume donc (au moins au niveau des modèles) toutes les configurations sociétales (juridique-judiciaire, politique, éducatif, (...) en annihilant tout autre modèle socio-anthropologique, toute autre légitimité.

 

D’autre part, cela va de soi, le niveau matériel moyen des conditions d’existence de la majorité pourra bien progresser, autant progressera l’exploitation marchande de ses moyens, -l'exploitation mercantile s'est superposée à l'exploitation du travail ; “quitte à se faire exploiter, autant vivre confortablement, je m’exploite moi-même pour mon propre bien », pourra-t-il dire.

 

* le progrès et la discrimination appartiennent à la même logique exponentielle.

 

 

• le point

 

Hayek : “moins ils sont pauvres, plus nous sommes riches”, -il parait que c’est normal et que le système marche bien ainsi, ...-honnêteté ou cynisme ?

Davantage, selon Francis Fukuyama (universitaire américain Sc.Pol.) : “la démocratie libérale et l’économie de marché sont les seules possibilités viables pour nos sociétés modernes (...) [terme d’une] évolution progressive des institutions humaines, politiques et économiques (...), [selon] la révolution des technologies de l’information (...) [qui] donnent plus de pouvoir aux individus et hâtent la démocratisation à mille degré divers (...) n'eut-ce été l’échec [temporaire] du constructivisme social, depuis la socialisation en bas âge jusqu’à l’agit-prop et les camps de travail, en passant par la psychanalyse, (...), à contrario d’un ordre libéral, fondé sur le marché, établi sur des vérités manifestes tenant “à la Nature et au Dieu de la Nature” (...) [conformes] au substrat naturel du comportement humain” (Le Monde 17 juin 99).

 

 

• libéralisme et salariat

 

Le primat de la brutalité privée sur les intérêts collectifs, c’est-à-dire le système du profit ; ou bien, historiquement, culturellement, c’est une histoire marchande (et sanguinaire) ; ou bien encore : un impérialisme ; ou encore : une extraordinaire progression technologique (point très important) ; ou encore : c’est le libéralisme, né en Angleterre et tel que commenté par les meilleurs esprits savants... Pour notre part, ajoutons cette autre définition : c’est l’aliénation salariale (couplée à l’industrialisation universelle) ; certes il y a du salaire depuis les Romains, et chez les Soviets, -il ne s'agit pas du même salaire, ou de même, la question n’est pas là, dans une (supposée/prétendue) propriété collective des moyens de production. Ici le travail salarié est aussi le moyen (aliénant ou non) de produire sa propre subsistance (et au delà), le moyen par lequel des sociétés numériquement sur-étendues (de “division du travail”, ou industrielles) se procurent de quoi manger, produisent et redistribuent (démocratiquement) des richesses, et surtout s'homogénéisent ainsi (s’intègrent totalement), assurant de fait la paix sociale.

 

 

 

 

            ◊

 

 

            II

            Des carolingiens aux talibans

 

 

• la grande machine 

 

Est-elle dénuée d’Histoire ? L’Histoire, mais non point celle des formes (le capitalisme, l’anthropologie, la science, ...), mais celle des figures ou process, du XVIIe jusqu'à aujourd’hui : les nations, les empires, le commerce du monde de Dieu, servi par ses capitaines, -des épices et de la conquête d’une planète (Christophe Colomb et Galilée) jusqu'à la mise en œuvre des ressources énergétiques premières des vastes communautés nationales modernes (chauffage, déplacements, lumière, communications). A travers une lutte internationale pour la maîtrise du pétrole, sur fond de guerres territoriales. Dans cette concurrence acharnée entre Nations, s’agissant de leurs ressources nécessaires,  leur appropriation, transformation, gestion, ordonne un ordre économique et social (il inclut une dynamique propre à opérer toutes fractures sociales). Dans cette affaire, l’état n’a plus de rôle : la libre entreprise (ou selon Hayek, la société civile) a le pouvoir économique.

La libre entreprise (la société civile), …ou plutôt sa jet set. Et dans le procès de redistribution  des plus-values, c’est elle qui détermine les clauses du contrat social (salarial ou actionnarial) entre elle et les autres.

Au rang de clause principale, de légitimité, elle proclame qu’il est libre à chacun de gagner la jet set, par son business, —c’est la version populaire ; selon la version savante la jet set n’est que l’épicentre d’un tout (il n’y a pas d’inégalité, mais une continuité qui va des plus riches aux plus pauvres, une continuité dont le libéralisme est la meilleure occurrence.

Mais subsiste cette impression de s’en remettre aux gangsters*, à une autorité privée qui n’inscrit pas clairement dans sa charte l’objectif du bien public (qui ne recourt pas à une autorité arbitrale indépendante, -dépérissement de l’état).

 

* Il y a cette oscillation entre raison responsable (la haute administration déterminant objectifs politiques ou écologiques, la haute finance (stratégie de globalisation),la prise en compte des facteurs sociaux, le relativisme européen vis à vis de l’absolutisme US en matière de politique internationale, et entre coups tordus (des services, de par les dérives Maison) ; mais : la défiance promulguée vis à vis des dictateurs est manifestement opportuniste, il y a une déficience culturelle (philosophique) chez les élites, la volonté de responsabilité (la capacité ?) des élites implique l’infantilisation des masses et une confiscation de leurs désirs (la conscience affective de l’histoire passée et la prise en main populaire des destinées fondamentales, —telles qu’en Allemagne, dans une certaine mesure).

 

 

• chacun pour soi

Messieurs, ne vous en laissez pas imposer par le mot abstrait de liberté. Liberté de qui ? Ce n’est pas la liberté d’un simple individu, en présence d’un autre individu. C’est la liberté qu’a le capital...Comment voulez-vous encore sanctionner la libre concurrence par cette idée de liberté quand cette liberté n’est que le produit d’un état de choses basé sur la libre concurrence ?

Nous avons vu ce qu’est la fraternité que le libre échange fait naître entre les différentes classes d’une seule et même nation. ...La fraternité que le libre-échange établirait entre les différentes nations de la terre ne serait guère plus fraternelle.

Marx,Misère de la Philosophie  et/ou Discours sur le libre-échange, 1850 (?)

 

« Chacun pour soi » : pouvait-il en être autrement dans une société qui est en fait, au contraire, une société de fourmis identiques, ennemies les unes aux autres ? C’est là où réside un mensonge, puisque ce chacun pour soi, présenté comme une opportunité ouverte à l’aune du mérite, masque une terrible uniformisation : des standards de pensée, des conditions d’existence normées, des règles de comportements.

Ce chacun pour soi est terriblement actif ; c’est une frénésie, laborieuse et productrice : auto-subsistancielle, + la plus-value (la croissance, —programme du patronnât : ‘créer de la richesse’), + la confiscation des marges de cette dernière (un détail, de l’écume) ; chaque fourmi* travaille et connecte son travail à celui des autres (la synergie des savoirs et de leurs applications).

 

Tout tourne, c’est la grande machine interne. L’état même y est devenu lacunaire, inutile ; et, en tant qu’autorité publique, autant lui substituer l’impalpable horizon de Dieu

(aux USA, —tandis qu’en terre d’Islam, Dieu est état).

 

* la vie de fous des gens qui travaillent (de longues journées : le boulot, les transports, les devoirs des enfants, la stricte limite du budget, le consumérisme) ; la pression s’exerçant tant sur les cadres que sur la classe exécutante.

 

 

• l’Histoire

 

La politique internationale, l’Histoire appartiendrait, elle, aux décisions des états ; soit.

Toute une histoire, -chronologie de quelques moments :

• Est/Ouest, les colonies, les territoires arabes du pétrole pillés, l’industrie (la sidérurgie), le commerce international, l’émergence d’un Japon  hyper-capitaliste, la guerre de 39/45,  l’habitat, la “décolonisation”, la RFA et la  RDA,

• entre 1920 et aujourd’hui, le Proche Orient et son  pétrole. Par excellence, le produit pétrole se prête à une économie de marché (boursière) ; la maîtrise des transactions et flux pétroliers ouvre la domination commerciale mondiale.

• Fabricants d'armes en 1914 : Anglais, Américains, Français, Suédois, Allemands ; essor des industries-privées, d'armement (Citroën, Peugeot), de chimie. Où écouler les armes ?

Trafics, contrebandes, grandes fortunes et folie meurtrière (12 millions de morts en 14-18) ; la dynamite (Nobel).

•1940 : un arsenal colossal en Allemagne (Krupp) ; Lufthansa, vitesse supérieure des engins (guerre éclair) ; les flottes sont détruites en rade.

Cuirassés, tanks, camions, mines... ; la radio.

- effort industriel soviétique (armement supérieur)

- les V1 et V2 allemands (2500 morts en GB)

- course à l’arme atomique (depuis 1942 aux USA) ;

- la shoah

•1945 : 135 000 morts en deux nuits à Hambourg par US-air ; Hiroshima

- Guerre froide -

•1956 : Indochine ; 0rdinateur, transmissions.

•1956 : fusées américaines en Europe, face aux fusées soviétiques ;

- course spatiale ;

- bombe H, américaine, puis soviétique.

• Congo ; Amérique latine ;

- (armes de contrebandes fournies par les États)

- Algérie ;

•1972 : Viet-Nam, 36 000 tonnes de bombes sur Hanoï ; défaite US

•1973 Israël (...-> 2003)

- Malouines, Liban

- 44 000 têtes nucléaires dans le monde

- Espace : maîtrise des armes intercontinentales (air, terre, mer)

• 2002 : Afghanistan

- Armes chimiques et biologiques.

•1983 : première “guerre du Golf” (Iran/Irak) ;

•1985 : Gorbatchev ;

•1991 : Guerre du Golf (“Tempête du désert », —guerre electronique ;

•1992/2003 : désintégration de la Yougoslavie ;

- un siècle (passé) de fabrique et de trafic d’armes.

- un siècle (à venir) pour déminer le Cambodge (mines anti-personnelles).

 

ou bien :

 

•1920-1944 : intense activité commerciale et notamment d’armement (sinon de guerre).

•1921 : les États-Unis imposent des quota pour limiter l’armement des nations, -sous contrôle anglo-saxon.

- Colonies ; café, coton ;

- France-Tonkin-charbon ; pétroliers texans (essor du pétrole) ;

- Mussolini, flotte de guerre ;

•1925 : trafic armes (+ drogue) par pirates indo-chinois ;

•1930 : super-cuirassés et porte-avions (35 dans le monde) ;

•1932 : accord pétrolier USA-Arabie Saoudite ;

•1941 : Pearl-Harbour ;

•1945 : accords secrets USA/GB (financiers et militaires*, création d’Israël)

•1950 : début de la 3ème guerre mondiale

- l'axe pétrole est prioritaire ("guerre froide”).

-          le trafic mondial reste maritime : minéraliers, pétroliers céréaliers ;

-          construction navale japonaise (le minerai et la sidérurgie) ;

- l’atome.

- depuis 1956 : USA au Moyen-Orient (traque à la laïcité et aux communistes) ;

•1973-79 : crise pétrolière ;

•1970-2000 : de l'atome aux déchets nucléaires (+trafic d'uranium)

-          incapacité russe au retraitement des déchets (extraction du cœur du réacteur),

-          -Tchernobyl (1986) ; écologie (mer d’Aral).

- découverte d'une chimio-synthèse d’espèces marines profondes (autre forme du vivant).

•1987 : traité Reagan-Gorbatchev sur désarmement nucléaire ;

•1989 : chute du mur ;

- soutien US à Irak

•1990 : guerre du Golf (1ère acte  de la troisième guerre mondiale, coalition)

•1991 : effondrement URSS

- soutient US aux talibans (via le Pakistan)

•2001-2002 : 11/9 ; Afghanistan (pipe-line et démocratisation)

- accord stratégique USA-Pakistan (contre l'Inde) ;

•2003 : deuxième guerre Irak.

 

Ne s’agit-il pas de l'histoire du libre-échange ?

 

 

• détails historiques

 

le communisme et les gangsters (l’élection de JFK) :

Son père, Joseph K, homme d’affaire, fortune via alcool prohibé, ambassadeur US à Londres, pro-nazi, s’oppose à l’intervention US en 1944, malgré appel pressant GB ; JFK élu via l’aide de la mafia (organisation, argent, trucages), et son frère Bob, ministre de la Justice (pour prévenir toutes enquêtes, -et notamment couvrir l’alliance Maison-blanche/mafia).(Avant la révolution castriste, Cuba = casino et bordel, -terre promise pour la mafia).

Le grand écart de JFK : son anti-communisme institutionnel (“Cuba = menace”) se couple avec une lutte officielle contre la mafia (trahison par JFK des ‘accords’ mafia, suspension surprise de la couverture aérienne lors du débarquement Baie des cochons, préparé par CIA, financé par mafia). [puisque mafia et communistes sont des ennemis mortels, JFK souhaite être l’artisan de la co-existence URSS/USA ( ?)]

Ce fut donc (ce devait être), avec l’élection US de 60, la mafia au pouvoir ; l’Amérique était le pays du capitalisme, de l’argent, des gangsters ; il en va de même aujourd’hui : monde politique = monde capitaliste (poids des industries sur la décision politique).

Le système libéral avait donc sécrété (logiquement), -et pour finir légitimé-, le gangstérisme (la privatisation et monopole de la distribution).

Ce fut une Histoire jalonnée par des séries d’accords/alliances/contrats (CIA/Mafia & industries/Maison blanche, avec comme fond téléologique l’anti-communisme); histoire jalonnée par des stratégies idéologiques et commerciales.

Le way on life, de Mickey à Pokémon, via les ondes Freedom, -cette configuration, le libre échange généralisé de produits désubstanciés (avec tous les détournements qu’une telle licence favorise), est-ce processus sans contrôle (intempestif) ?

 

           

• Irak

 

Desseins illisibles, des puissances occidentales, embarras récurrent des gouvernements qui sont ou qui ont été liés aux ventes d'armes (par exemple, américaines, via le gouvernement français, ou françaises, via les entreprises privées), substrat composite des intérêts commerciaux (militaires ou non), des buts politiques, des intérêts culturels.

Que penser de l’existence de politiques et d’économies nationales centralement impliquées (compromises) par le secteur économique de l’arme, sinon qu’il s’agit d’un véritable piège ?

C’est le docteur Folamour contre Saddam Hussein, “l’ogre pervers du mal”.

 

1970 l’Irak nationalise Iraq Petroleum Company, aux mains de sociétés britanniques, américaines et françaises ;

1975 fourniture par la France d'une centrale nucléaire de recherche (Osirak, détruite par l'aviation israëlienne en 81)

intensification livraison d'armes (canons, hélicoptères, Mirages, chars, mortiers, missiles...) par la France (“le système onusien garantissait les paiements" selon organisateur du pavillon français de la Foire de Bagdad).

1980-90 fourniture équipements technologiques et militaires par grandes firmes US (réunies par un lobby (US-Iraq Business Forum).

1990 premières bases américaines en Arabie saoudite (au prétexte d’une désinformation américaine : vues par satellite, des forces irakiennes à ses frontières).

1991 Cessez-le-feu US favorable à Saddam Hussein ;

embargo ;

1991-2003 : inspections de l’UNSCOM (puis COCOVINU), discréditées par les USA (CIA), conflictuelles (258ème inspection en 1999)

Le Président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat US : "si les Français et les Russes veulent accéder à l'exploitation pétrolière en Irak après Saddam Hussein, ils devront aussi participer aux opérations militaires pour changer le régime” (in La Tribune de l'économie, 24 janv 2003).

 

 

• Afghanistan

 

Observons qu’après la table ronde de l’été 2001 en Allemagne (où s’étaient mises diverses parties concernées), l’attentat du 9 sept contre Massoud et celui du 11 à New-York, correspondent aux paramètres-programme de l’offensive US : terrestre (afghane), aérienne (américaine).

Observons qu’après la guerre, ni les infra-structures n’ont été reconstruites, ni le régime ne s’est démocratisé ; et observons que la production d’opium 2002 (3/4 de la production mondiale de 3400 tonnes) s’est rétablie (185 tonnes sous le régime taliban en 2001).

 

 

Iran-Irak

 

Au plan de sa politique internationale, du Shah à aujourd’hui, l’Iran (qui, on s’en souvient, a aidé la France à se constituer puissance nucléaire, via sa participation financière à Eurodif, plateforme de vente de l’uranium enrichi, en échange du dit uranium) manifeste une continuité, —à savoir l’acquisition de la bombe et du civil.

Mais, essentielle dimension, le religieux appartient aux pauvres (qui, au cours de cette guerre, ont fait gagner l’Iran contre l’Irak) ; ce religieux s’oppose au destin occidental de l’Iran (être la 5e, puis après l’effondrement de l’URSS, la 4e puissance mondiale, derrière les USA, la Chine, l’Europe). Que représente ce régime des pauvres ? Des valeurs (pas d’alcool, pas de sexe…), selon un ordre moral ; cette tradition constitue, à titre principal, l’Iran, et pèse de tout son poids ; il s’agit, étant donnée la révolution iranienne, d’une révolution (des plus pauvres) comparable à celle de 1917 (se constituer en grande puissance, industrielle, ce avec des valeurs incompatibles ou antinomiques à celles du reste du monde occidental).
L’Iran a deux alliés : l’ex-URSS et la Chine, l’un et l’autre adversaires des USA et qui, au-delà d’accords commerciaux majeurs, parrainent l’Iran dans sa volonté nucléaire.

Derrière les forces sociales pauvres, c’est le chiisme, le sunnisme représentant plutôt la tendance occidentale de l’évolution historique en Iran (95% de chiites) et en Irak (60% de chiites).
Etant donné que la guerre américaine contre l’Irak n’était que le prélude à la guerre contre l’Iran (encerclé par des bases américaines), ces deux pays sont des alliés objectifs (c’est pourquoi l’Iran anime à présent la résistance en Irak), —au delà de l’ambiguïté historique résultant d’une première phase pro-occidentale, en Iran comme en Irak.

 

 

• la guerre du Kosovo (les USA en Europe) 

 

À Belgrade (et par delà, à la Russie, et à l'Europe), le message (advertising) est : "nous sommes ici chez nous, ici, c'est le monde libre" ; Juridiquement, et dans les faits (nous vous le prouvons  : démonstration à la population civile (coupures de courants, destruction des émissions TV, etc.), -c'est la preuve par le monde libre (la libre concurrence), administrée par les américains.

- l'opération militaire elle-même : destruction des équipements militaires et de l'appareil de production (destruction des infrastructures), blocus économique ;

- l'exode des kosovars : une donnée militaire ; l'exode sert de prétexte à la poursuite des bombardements, mais l'arrêt des exodes est exclu des objectifs militaires (= champ libre donné par l'OTAN aux milices para-militaires) ;

- l'engagement embarrassé de la France ("l'alliance" correspondait aux créations du Quai d'Orsay (+ soutien de Chirac), la France se défausse tardivement en jouant la carte russe, avec la substitution de l'ONU à l'OTAN au Kosovo) ;

- l'affaire serbe : puisque c'est devenu là-bas une affaire d'état, et que cette affaire est devenue l'affaire de tous, le peuple serbe ne se résout pas à céder à cette opération d'intimidation. Une certaine dignité nous recommande de ne pas céder non plus : il y a eu prévalence des prérogatives de stratégie militaire sur le droit international (pas de déclaration de guerre), et de ce fait une ingérence militaire en Europe (d'où la "sortie de crise" via l'ONU). A l’intérieur, l'État se construit sur l'opinion publique (et sur la manipulation de l'opinion (dans la guerre OTAN/Serbie, la destruction des canaux d'information). Il revenait donc à Miloscevic, libre de toute tutelle soviétique (et de la politique des blocs) d'accéder au pouvoir par des moyens propres (-> des milices privées), de jouer sa propre carte (La grande Serbie, + l'indépendance de l'économie) ;

- la dérive nationaliste : sur ce nouveau sol (ce terreau) des règles du jeu en Occident, au sein des nouvelles configurations politiques, mais aussi par opposition idéologique à l'Amérique (la Serbie est l'héritière de la Yougoslavie et du Communisme), -et également donc par opposition à ce qui se passe à Moscou (ou en Albanie) (les dérives mafieuses privées (ou "non nationales") ; la montée du nationalisme (elle-même prise dans  la montée des nationalismes), sert d'appui à Miloscevic,

- fallait-il intervenir ? (après la Guerre froide et l’effondrement de l'URSS, le double-jeu) La position actuelle de l'Occident (après) : ce sont les règles démocratiques qui prévalent : il n'y a plus de dirigisme d'État, les intérêts publics sont soumis aux lois du marché ;

il en va en économie comme en politique : l'État, la Puissance publique doit composer avec les exigences du privé.

- l'OTAN se sert à présent du nationalisme contre lui (les nationalismes permettent le démantèlement de la Yougoslavie, -c'est le plan Carrington). Les USA nous le rappellent :

le jeu est totalement ouvert et nul ne saurait jouer sa propre carte ; car le monde est encore régi par une partition au sein de laquelle se jouent des intérêts économiques validés par la libre concurrence (et légitimés par les Droits de l'homme qui permettent une universalisation annulant les règles de souveraineté nationale) ; le message est clair : il est partout intimé à l'État de s'effacer devant le libre jeu des intérêts privés (nous vivons la fin du colbertisme qui s'est survécu à travers l'ENA et l'URSS) ;

-avec les conférences internationales et les traités, un interventionnisme agressif construit sa légitimité  juridique et politique ; ce qui est une contradiction, car le libre jeu des grandes multinationales ne peut que se heurter aux contraintes stratégiques, -à moins qu’il ne les utilise.

 

Reste que la libre concurrence internationale se développe sur fond d'une guerre économique ; c'est cette guerre qui joua alors sa carte dans les événements de la guerre au Kosovo.

 

 

• l'Amérique de Georges Bush

 

À observer, à la manière des physiologistes, les traits (et la gestuelle corporelle, la façon d’habiter son corps) de G.W. Bush, l'on identifie un imbécile (le front est bas, le regard sans mobilité, étrangement fixe), -tandis que (sous une démarche “robotisée”, une mobilité gauche, comme heurtée) la motricité paraît discontinue.

Mais, de façon plus inquiétante, comme une écume sur cette disgrâce congénitale détournée par quelque rééducation, le physionomiste détecte bientôt une sournoise méchanceté, un ressort libidinal, une motivation : une jubilation presqu'imperceptible, sous le protocole intime et externe de ses gestes et actes, révèle que cet homme tire une jouissance de la magie de l’efficience et de l'arbitralité de son pouvoir, -tantôt un regard qui ne cille pas, tantôt, par intermittence, une fuite ou une dissimulation du regard.

Sachant que, lié aux marchands d'armes et aux compagnies pétrolières, le Président est marchand de guerre et chief-manager des pipe-line, on peut penser que l'offensive contre l'Irak n'aura pas lieu tant que la crise de la production pétrolière du Venezuela ne sera pas dénouée, un contretemps servi par les activités de l’UNS CAM.

 

 

• la ligne d’interprétation américaine du monde

 

Elle s’exerce par rapport à certains événements (par ex, la Yougoslavie et le TPI, l’Irak et son blocus...) ; elle consiste, à travers des agirs  (la guerre, l’OTAN, l’ONU, l’innovation...), relativement à des quanta (le pétrole, l’or, le dollar, le crédit...) et selon des règles (commerciales, financières, politiques), en une interprétation ; laquelle est dominante, exclusive, nette et obscure (le soupçon, les complots) ; elle est expansive et intégratrice.

À travers accords (tacites et formels), désaccords, tensions, échanges (concrets et abstraits), elle se confronte cependant à d’autres pratiques de pouvoirs (dérivées ou exogènes), d’autres productions, d’autres dynamiques, d’autres producteurs, d’autres sociétés, d’autres enjeux ; lesquels forment, évidemment, la valeur pertinente de notre patrimoine culturel et politique.

 

Elle s’exerce par rapport au Monde ; première puissance mondiale, et de loin, l’Amérique (30% de la production mondiale) se doit de garantir (militairement s’il convient) l’ordre mondial, la paix et la liberté ; parce qu’elle le peut, et parce que ses valeurs, selon elle, sont universelles, seules valides (ou les meilleures). Sous ce rapport cette action mondiale de pacification et de reconstruction menée par les USA est celle-même qui a été mise en œuvre dès 1945*.

Les experts et/ou proches de l’administration Bush ont leur version des choses, qui s’exprima notamment dans un document d’une centaine de pages intitulé ‘Reconstruction des défenses de l’Amérique, stratégies, forces et ressources pour un nouveau siècle’ ** (G.W. Bush, le 3 mars 2003 : “L’Amérique se doit de gagner la première guerre du XXIe siècle”) ; certes cette version est tempérée par la pression Onusienne.

 

 

• le 11/9

 

Depuis le 11/9, les USA ont découvert et  réalisé qu’ils étaient vulnérables, -davantage,  menacés ; d’où pour eux l’urgence et la nécessité de rétablir une sécurité mondiale ; à commencer par le Proche-Orient, région mondiale trouble, qui couve des terrorismes divers, instable, alors que les enjeux économiques qui s’y attachent sont mondiaux et cruciaux (ressources énergétiques des nations) ; le contrôle, ou la sécurisation de la région, grâce à la volonté politique et aux moyens des américains (organiser et garantir les règles et la liberté de la concurrence), non seulement constitue la seule réponse responsable (et courageuse) face aux menaces qui s’exercent sur la paix mondiale, mais servirait de surcroît au premier chef les intérêts économiques américains. Selon l’administration Bush (appuyée par les lobbies juif et ultra chrétien), la guerre (contre l’Irak) est la réponse appropriée. N’y a-t-il pas confusion entre un objectif politique (démantèlement d’Al Qaida, élimination d’OBL), et un but sociétal* (en l'occurrence commercial) : le libre fonctionnement de l'économie de marché.

À quoi s’ajoutent les problèmes humanitaires de toutes sortes et partout.

 

Attitude et volonté politique US (et/ou “occidentale”) d’autant plus difficiles à apprécier, que son cours historique même est, depuis 20 ans, des plus confus : soutien économique et politique du régime irakien (jusqu’à la formation de militaires irakiens au maniement des armes chimiques par des experts de la CIA), sauvetage in extremis du régime au terme de la première guerre du Golf (1990) [idem du soutien US au régime des talibans en Afghanistan], sans parler d’intérêts capitalistiques arabes et américains (-et juifs, ainsi que multinationaux), enchevêtrés entre eux et enchevêtrés avec les mobiles politiques (En 1944 déjà, selon le général De Gaulle, “c’est Général Motors qui va gagner la guerre”).

 

* Pour mémoire : le coût américain de l’intervention américaine en Irak, est chiffré de 100 à 200 milliards de dollars, soit 1 à 2% de leur PNB (tandis que les coûts des interventions au Viet-Nam et en Corée en représentaient respectivement 12% et 15%).

Les prévisions ONU sont de 500 000 morts.

** On peut y lire les phrases suivantes : "maintenir la prédominance américaine, empêcher l’essor d’un rival puissant et dessiner le nouvel ordre international accordé aux principes et intérêts américains. (...) La puissance militaire américaine est la prise essentielle dans le schéma qui transforme notre suprématie militaire en prédominance géopolitique (...) décourager [par des alliances appropriées] les nations industriellement avancées qui souhaiteraient remettre en question notre place de leader, [notamment] à travers l’OTAN et le maintien ou la création de diverses bases en Allemagne, GB, Italie, Hongrie et Turquie (...) ; [s’appuyer sur] de nouveaux alliés, tels que l’Australie, l’Indonésie et la Malaisie (...) ; jouer un rôle lus permanent dans la sécurité de la région du Golfe, -alors que le conflit non résolu avec l’Irak offre une justification immédiate, le besoin substanciel de forces américaines présentes dans le Golfe transcende la question de l’avenir du régime de Saddam Hussein...” etc, ; d’autres passages du document évoquent la necessité d’un contrôle militaire de l’espace, ou, par ex. une défiance avisée vis à vis de l’information ou de la toile Internet. (Passages extraits de VSD, n°1319, déc. 2002).

*** En d’autres temps, ainsi furent caractérisées les tribus Navajo.

 

 

• New-York

 

Un port (marchandises), centre mondial des affaires.

Ces gens, les américains, aiment les produits et le progrès (ou le luxe) technologique.

Cette merveilleuse capitale ; durant ces cinquante dernières années, ces mégapoles (une dizaine ou une vingtaine) conniventes, surgies, rivalisantes, où partout se retrouve, comme une écume qui brode ses motifs sur la surface lumineuse des grands fonds (la population nombreuse), cette gente, créatrice et surabondante, artistes, acteurs du show-biz, argent et projets, sons, formes (mondaines, théoriques, plastiques), sites, rencontres, technicités (artefacts-gadgets), communications, gratte-ciels et vitrines (le “capitalisme schizophrénique”) ; ces nouvelles mégapoles-contrastes, au même diapason de mœurs et de tendances (répercuté par la trame des média), dans les mêmes distances (et rapports, -féconds et tragiques) avec les moindres et avec tous, simultanées, magiquement similaires tandis qu'elles sont en divers endroits du monde, ont créé (ont été créés par) un esprit du temps, actif et réactif, une liberté, des jouissances, un cœur-moteur de civilisation ; ce qui est beau (et bien) c’est cette multiplicité-simultanéité de capitales, cette culture commune et dispersée du temps moderne ; partout les grandes villes ont subi ou agi les mêmes évolutions : concentrations d’immeubles de verre et d’acier (bureaux  des puissances financières), d’autos et de magasins, d'avant-gardes et de spectacles, de cercles de décideurs et d’intellectuels.

 

 

• la destruction des tours de New-York

 

Par deux détournements d’avions, un groupe (kamikaze) a touché le système au cœur : destruction des tours de New-York, le cercle concentré de l’univers des affaires, + atteinte du centre militaire du cercle du pouvoir.

 

À l’orée de ce troisième millénaire, à côté d’États rebelles laïques , dits “États voyous” (Libye, Irak, ...), prend forme la modernité de réseaux clandestins  “terroristes”, de nébuleuses.

Comme cible des kamikazes, les tours du WT Center font songer à celles des premiers grands super-marchés allemands (Neckerman-Quelle), importés dès 1945 par la civilisation américaine en RFA, et l'attentat du 11 sept. fait songer à celui de la Raf (la destruction symbolique et concrète du temple de  la consommation)** ; l’attentat du 11 sept est idéologique (en portant l'anathème sur un système mercantile mortifère, il dénonce la collusion du capitalisme libéral avec le contrôle des armes de destruction massives ; il “répond” aussi aux deux millions de morts irakiens et afghans), il est aussi militaire, technique (il “prévient” l’invasion programmée de l'Afghanistan).

Ben Laden = l’anté-Christ. Quelque soit son destin, qu’il s’efface, bombardé mais ‘sur-vivant’, dans sa falaise, son message a pris : une arrogance est stigmatisée (“les juifs ont fui la tour”), à l’heure choisie par Dieu.

L’acte est politique, avant d’être intégriste : les kamikazes martyrs qui se fracassent sur le cœur du capitalisme ne sont pas dévots (fondamentalistes).

 

New-York, “le cœur palpitant du monde visible” selon Salman Rushdie, pour qui encore : “les fondamentalistes croient que nous ne croyons à rien...”-il a raison sur ce point, -sans croire si bien dire ; outre que le monde invisible des 3 millions de morts arabes et afghans depuis cinq ans vient de se manifester au monde visible, -et à sa cécité, ce 11 sept dernier.

Depuis le 11/9, pâle, inquiet (le terrorisme, -chacun, sur recommandation gouvernementale télévisée, calfeutre sa maison avec du scotch en prévention d'une attaque chimique), le monde visible est solidaire (une attaque préventive contre le Diable, Satan, Saddam). Dans ce but, les USA ont décidés de faire la guerre à un ennemi qu’ils ont préalablement désarmé (+ affamé depuis plus de dix ans) ; d’un point de vue budgétaire, cette guerre ne représente que de 1 à 2% de leur PNB (Viet-Nam : 12%). Il est vrai que Satan a le dos plus large que celui de Dieu.

 

*Inversement, et tout aussi justement, on dira que la culture anglo-saxonne est le fleuron des USA, -leur quintessence  ; l’opération “Liberté immuable “ n’est-elle pas une émanation anglaise ?

(Comme fut l’opération CIA/banques anglaises/lobby juif pour et lors de la création de l’État d’Israël, création conjointe à une opération de promotion immobilière).

** ultérieurement la Fraction armée rouge d’Ulrike Meinhof et amis fera sauter, dans une base américaine située en RFA, les ordinateurs planifiant la guerre au Viet-Nam (leurs effigies seront portées en triomphe dans les rues de Hanoï).

 

 

 

• le capitalisme des grands empires antiques

 

Au long des pages précédentes, le lecteur a vu, que je suis allé par méandres de points de vues (et d’objets) divers, à travers une appréhension large ou approximative du capitalisme, plus volontiers considéré comme système marchand, voir approximativement identifié à l’argent lui-même ; je continue ainsi.

Par l’argent, les Romains organisaient les plaisirs, la richesse, la puissance, la domination : esclaves, machines, maisons et mets, ouvrages publics, commerce et marchandises lointaines (et/ou rares), techniques sociales (aqueducs, égouts, bourse des valeurs et des monnaies, tribunaux...), spectacles ; par l’argent donc, qui génère les modes et mœurs d'une civilisation tout à fait comparable à la moderne civilisation capitaliste américano-occidentale.

Cette civilisation romaine sera supplantée par les sociétés chrétiennes (je comprends mal l'impasse des historiens sur cette cause de la fin de l'empire, -Nietzsche mis à part, cf aussi Peter Brown et sa vision charnelle des petites cîtées antiques du  IIIe au Ve siècle, “assortiment  de formes d'expériences religieuses dans le bassin méditerranéen des temps classiques tardifs (...) reliées à d'autres aspects de l'expérience sociale...”, in Genèse de l'antiquité tardive, 1978 trad. fr. 1983) ; à une rationalité et une morale spécifiques mises en œuvre par la puissance politique (productrice centrale des normes sociales), succède la société féodale, revenue aux trois fonctions (une souveraineté magico-religieuse, une souveraineté politique armée, les paysans) ;et à la société féodale succédera un nouveau capitalisme (à même de remplacer les jeux du cirque par le foot-ball).

 

 

• les nouvelles sociétés féodales

 

Celles de l'Islam ; peut-être certaines d’entre elles sont-elles (aussi) nées de l'échec de leur intégration (morale, économique) aux progrès et lumières de la mondialisation industralio-capitaliste ; contradicteur externe, inquisitorial, elles peuvent fort bien déterminer au principal l'Histoire des prochains siècles, impliquant avec elles leurs valeurs.

Ces sociétés arabes, pauvres ou riches, ont été remodelées fondamentalement par le intérêts économiques (pétroliers) des grandes sociétés industrielles avancées.

Islam : le tapis de prières : où qu’un homme aille, il peut emporter avec lui cet espace physiquement et symboliquement sacré ; espace inviolable de son rapport quotidien, physique et spirituel avec l’éthique : Allah est avant tout éthique ; observance consentie et pratiquée,  l’humilité de la prostration est signe de l’exigence intime de soi envers soi. Tout n’est que symbolique dans ces formes rituelles, -pour la croyance, il semble qu’Allah soit le tout et le fatum*.

 

Créer un milliard d’emplois pour résorber le chômage” (dernières nouvelles, OMT, 2003); depuis ces dernières années (mondialisation) la montée du chômage dans les pays industrialisés (USA, Japon, Russie, Amérique latine) place celui-ci au rang de principal contradicteur interne du capitalisme ; et l’Islam va fournir en appoint externe son quanta-milliard de chômeurs auto-légitimés.

 

* sur les habitants d’Arabie et les prescriptions originaires de l’Islam, cf. Wilfred Thesiger, Le désert des déserts, et notamment la préface de François Pouillon, trad. fr. 1978)

 

 

• 3ème guerre mondiale : le nucléaire contre le pétrole

 

Dès 1945 ; impliquant tous les pays dans leurs rapports structurels à leurs énergies sources : guerre froide, guerre idéologico-commerciale et technologique c/ l’URSS et c/ l’Europe,  guerre du pétrole et du nucléaire (sur le théâtre européen civil et dans le conflit Irak-Iran) ; Révolution iranienne (choix de l'Iran en faveur du nucléaire, -étatique,  plutôt que du pétrole, -libre-échangiste), guerre du Golf, Afghanistan ; guerres, alliances (objectives ou non) et retournements d’alliances ; entre USA, pays du Proche et Moyen-Orient, France, Irak, Grande-Bretagne,  Israël, Inde, Pakistan, Arabie, Lybie, Allemagne, Italie, Turquie. Guerre arivacaire au travers  de compagnies stratégiques (par ex. Eurodif France/Iran/US). Accords internationaux  (Kaboul fait songer à Berlin en 1945).

Donc, le démantèlement puis l’absorption au marché mondial, des diverses économies et régimes politiques non conformes s’avère très long ; transfert total  des règles de vie et d’existence touchant les ressources en énergies et la gestion sociale.

 

 

 

            ◊

 

 

III

Zoologie des choses

 

 

• l'échange chez l'animal

 

L’échange n'est pas le propre de l’homme ; il est évident, dans certaines conditions, que tous les animaux s'appellent les uns les autres, parfois (souvent ?, toujours ?) d’une espèce à l’autre ; par exemple lorsqu’il neige.

Les animaux et leurs antennes : la guêpe (ou mouche) cantharide sectionne les antennes de la blatte qui dès lors se laisse domestiquer ; il en va de même des défenses pour les éléphants ou de l’âme pour les hommes. Pitoyable sciences de la préhistoire : longtemps l’on cru que l’homme était distinct des animaux à tel point qu’on lui prêtait une origine temporelle décalée au sein du cours du vivant (il vivait debout, fort d’une cérébralité d’exception) ; il faut dire que ce coupeur d’antennes et collectionneur de trophées s’était placé dans une hébétude automatique, mortifère, efficiente (l’animal avait été désa clonanimé). Puis (ou de toute manière) tout cela fut oublié, et en 14025, les deux grands cercles volcaniques sub océano-continentaux se superposèrent en explosant, -bien plus tôt qu’il n’avait été prévu.

 

………..

 

 

 

 

 

 

 

 

• néandertal

 

Peignait sur les parois des cavernes les animaux de ses rêves et sur les falaises ceux de ses cultes, totems et praxis (l’âme et les mânes, -en quoi “la religion des grottes ornées” ne saurait être, puisque cultuelle et représentative, elle s’évanouirait dans la sous-face rupestre de la fraîcheur psychique du rêve) ; la chose fut pressentie (et imitée) par cro-magnon.

 

Les grottes préhistoriques : lieux d’un culte ancestral animalier, hérité du croisement néandertal/cro-magnon (non pas que néandertal soit l’ancêtre biologique de cro-magnon, mais il en est l’ancêtre social) ;

cf le cas particulier des basques, -langue similaire aux langues amazoniennes- , pas de croisement avec néandertal, ni exogamie, ni inceste.

Il faut bien voir que c’est paradoxalement que la prohibition de l’inceste va de pair avec l’exogamie, puisque, biologiquement, l’inceste est viable et n’implique donc pas l’exogamie ; -et que derrière cet inceste biologique se profile un “inceste”-croisement culturel et biologique inter-espèces, impasse génétique et sociale, et trauma historique commun aux groupes mixtes néandertal/cro-magnon (avec extinction de néandertal sur l’espace d’une génération).

Néandertal peint le monde social-animal sur les parois des grottes, exprimant ses croyances et activités; cro-magnon aurait adopté référentiellement les cultes ancestraux de néandertal et peint des témoignages dans les sanctuaires rupestres.

*paradoxe des dieux ancestraux : éternels, ils ont des enfants (les mortels), sans en avoir eux-mêmes de nouveaux autres.

 

 

 

néandertal /cro-magnon

stratégie sociale proximale au monde animal

(le chasseur ne saura s’approcher de l’animal qu’il veut occire qu’animalement masqué, en un moment où pour ainsi dire leurs vies s’échangent).

co-existence de communautés néandertal  et cro-magnon

dotées chacunes de langues spécifiques inter-tribales (rudimentaires peut-être, mais totales) ; du désir (et de la nécessité) de communiquer entre elles, au-delà de leurs idiomes distincts, va surgir une méta-langue à laquelle se rattache un vif essor de la pensée symbolique (ou magique) ; l’animal possède à leurs yeux une telle puissance magique;

d’où l’image.  Néandertal  comme cro-magnon imaginent ; sans doute le bestiaire est-il particulièrement néandertalien (Chauvet ?) ; nous sont parvenues maintes traces (d’apprentissage, d’esquisses ou parachevées) d’une intense activité quotidienne de dessin, gravure, modelage, sculpture ou peinture, sur toutes sortes de supports, en des lieux divers (de plein air ou de cavernes), à des fins diverses spécifiées ou non ; on peut penser à une activité quotidienne partagée entre la taille de la pierre (pas exclusivement  l'outil) et l’image ;art tantôt monumental, tantôt miniaturiste, tantôt ou tout à la fois ludique, esthétique (notamment la plastique spatiale de Lascaux), magique...

À qui sont destinées les images ? peut-être parfois aux animaux eux-mêmes ; les animaux peints sur écussons (falaises) semblent être indicateurs, peints pour être vus par d’autres hommes.

L’art des peintures constitue ainsi un méta-langage (au sujet duquel on peut penser à une sorte de “déclin”, d’évolution historique par une progressive panthéonisation ou mythologisation), ou une langue parallèle, -laquelle s’éteindra vers le douzième millénaire.

 

L’inhumation, pratique culturelle totalement symbolique : c’est son défunt que l’homme ensevelit, avec un cérémonial émouvant (ocre rouge, bijoux, trophée) ; celui exprime peut-être le contenu existenciel de la vie du défunt et/ou les circonstances du décès ; ici aussi Néandertal projette ses actes au plan de l’art, agissant symboliquement esthétiquement ou magiquement ; l’origine néandertalienne de l’inhumation serait due à la conservation du corps dans le sol gelé, ce pourquoi le néolithique post-glaciaire n’inhume plus ses morts.

 

Invention de mots, signes vocaux affectant choses et concepts : cette découverte et le progressif enrichissement d’une méta-langue par et pour ses variantes déclinables, emporte une conceptualisation du monde qui va se diffuser de façon fulgurante à toute la planète (difffusion signifie aussi diversification, versions diverses des fonctions ou valeurs sociétales) ; partant  diffusion d’une langue ou mode de communication universel (abstrait), un modèle sociétal se dégage : langage, rites mortuaires, art, organisation sociale, production, échanges, s’universalisent de concert ; leurs contenus s’impliquent les uns les autres. C’est dire que les mythes, mis en relation avec les actes ou les activités ou les savoirs de l’existence quotidienne, font sens, sont producteurs, porteurs, signifiants et significatifs. Des symboles convenus, des artefacts, des typonomies, des concepts sont svt associés aux peintures animales, non encore déchiffrés courent d’un site à l’autre : cupules, points, incisions, psychogrammes, signatures, symboles se composent entre eux et forment sens parcequ’ils sont apposés, mis en relation physiquement et symboliquement ; on n’imagine mal que ces signes soient destinés à l’animal,  mais on peut imaginer d’autres situations où il n’en est pas ainsi (vallée de , mammouth extérieur d'Arcy sur Cure).

 

Images-signes plutôt que représentation ; à fortiori du paysage qui est lui-même support de signes, d'images, de significations : sites intensifs, actifs, magiques, sensoriels (le site magico-forestier perdurera jusqu’au druides, -rumbes et runes), parmi lesquels ou auxquels les hommes incrustent ou associent leurs symboles reproductibles, leurs percepts, -jusqu’au façonnement du paysage.

 

Néandertal ne réfléchit pas (il ne calcule pas), il s’interroge ; il n’a pas de code social : chaque sens se déploie sans fin, se creuse (à moins qu’on ne l’interrompe).

 

L’ère du séquoia (la fonte progressive des glaciers),

de -130 000 à -50 000 ans (-20 000 en Chine)-, se clôt par l’ultime retraite des glaces et par l’ère néo-néandertalienne (-50 000 à -20 000).

Une nature immense, impénétrable, diverse, prodigieuse, et enfin magique ; une nature peuplée d’animaux, divers, innombrables, mystérieux et parallèles aux hommes ;

c’est l’âge néandertal où les h. peignent leurs rêves d’animaux ; l’h. est animal parmi les animaux, au sein d’une nature créatrice, à la fois pour lui intime et objective ; seule, la maîtrise du feu le distingue.

Univers sensoriel, sonore, végétal (forets), animal, et spatial (étoiles, rivières, monts, sites, climats). Maîtrise du feu et du langage code (abstrait) voue l’h. à un destin singulier : roi des prédateurs, roi avisé des prédateurs avisés.

Cro-Magnon, lui, ignore le milieu, il l’industrialise, l’instrumentalise.

 

Préhistoire

• Le secret des roches : elles sont gésine, elles sont des formes en naissance, formes du vivant ; les coquillages-fossiles, innombrables aux temps préhistoriques n’en pouvaient être à leurs yeux que le signe même, équivalence minérale du vivant, équivalence entre la roche et le vivant ; de ce rapprochement l’homme préhistorique va tirer sa théorie de la roche ;

par rapport à quoi il va se comporter en démiurge : dans la roche ou sur la roche il illustre de façon démiurgique la forme animale ; il lit cette forme dans les formes mêmes des roches, très finement, très imperceptiblement : une ligne, un volume, une coloration, une incise, quelque relief ou aspérité ou en creux, se prêtent à une création de la forme animale, à une ré-création de la forme.

Il s’agit d’inscrire l’animal au cœur du substrat terrestre ; les animaux sont gravés et/ou peints dans les  galeries  et diverticules les plus inaccessibles, les plus profonds ; il y a bien conjonction entre cette profondeur chthonienne et/ou rocheuse et l’animal ; la précipitation délibérée (?) des carcasses animales dans un puits naturel doit-elle être rapprochée de cette configuration ?

 

C’est dans la pierre que la vie prend symboliquement naissance, la pierre est comme le signe ou l’inter-signe du vivant ; ni tout à fait signe, ni tout à fait symbole, ni tout à fait principe, mais parallèle ou quelque catégorie mentale que nous n’entendons plus ; de la matière roche peut surgir à certaines conditions un phylum génétique, une génétique minérale ; sous l’herbe et les arbres gît le soc rocheux, comme un substrat originaire, et dans les formes des roches et celles des parois des cavernes des formes animales peuvent prendre naissance.

 

D’où aussi, symboliquement ou magiquement, l’inhumation des défunts dans la terre, le cadavre mis entre des pierres ou des dalles (ou disposé sous un abris rocheux) ; jusqu’à la tradition funéraire néolithique (tumulus, dolmen).

La coloration magique des sépultures avec l’ocre sanguin, universellement répandue, semble quelque simulation magique de réanimation, suc ou lymphe du procréé à rebours du temps ; ici la décomposition est resubstanciation (mais non pas désincarnation et au-delà): poussière, et pour finir la roche à nouveau. Le temps est pensé sur le mode du germinatif, -et le germinatif est boucle ou principe de re-génération ; le “rite” funéraire et son prétendu “culte des morts” se développent et s’inscrivent sur fond d’une théorie du vivant (tombes humains aussi bien que tombes d’animaux) ; dans les cavernes peintes, s’il y a bel et bien principe génératif ou de genèse, il n’y a pas généalogie et mythes, ni cérémonie, mais fond de pensée avec ses images, -du moins à l’Aurignacien ; pas d’avantage opposition entre monde des morts et monde des vivants, mais plutôt continuité, contiguïté.

 

La chasse et l’ingestion carnée (Néandertaliens, -250 000 à -30 000, Sapiens-sapiens, -40 000 à -15 000) a précédé l’image et les magies des formes et figures animales ; il fallait désormais associer, accorder ces deux activités mentales, les concilier ou réconcilier ; il s’agissait de rendre à l’animal tué une autre vie, un autre signe ou indice de vie ; cette action est tout à la fois indistinctement symbolique et réelle, -ce qu’on peut appeler magie ; rendre à l’animal tué son autre phylum génératif, renverser l’acte du meurtre : c’est la “religion” préhistorique qui s’inscrit dans l’adhésion participative à l’environnement,  dans l’hommage à l’animal et au vivant, qui est considération aimante et/ou fusionnelle ; la nature paysagée n’est pas représentée car elle n’a pas été objet de meurtre (ou de prélèvement).

 

 

• “art” préhistorique

- le côté tactile

“Il n’y a pas que la représentation visuelle ; les parures (coquillages, ivoire, pierres remarquables) : ce qui motivait le choix de certaines matières premières était leurs qualités tactiles plutôt que visuelles ; la stéatite et l’ivoire, qui une fois polis ont un caractère tactile très particulier ; ils possèdent une certaine qualité que nous avons du mal à décrire car notre réaction est quasiment d’ordre émotionnel” . [Randal White, (?)]

 

- acoustique

“La présence du son ; chambres de résonances ou d’écho, les roches étaient frappées ; il y avait sans doute interpénétration intime entre l’espace volumnique, le son, l’image, la lueur” (J. Clottes), ...la nourriture, les plantes hallucinogènes ; il ne s’agit pas d’opposer ni de distinguer chamanisme ou magie ou état de transe et état normal ; il faudrait plutôt voir une continuité, un passage naturel et permanent entre les activités que nous spécifions aujourd’hui comme normales et comme para-normales.

 

- l’objet-signe, c’est peut-être là le premier palier de ce que nous percevons chez l’homme préhistorique comme art ; sans doute d’autres plans sont-ils aussi présents, telle que l’équivalence entre la beauté et la beauté du paysage, entre la beauté et la beauté de la couleur, la beauté et la beauté de la forme ou de la ligne.

 

- le rapport au milieu est “symbolique”, accompagnement, redoublement, soulignement.

Le poisson (rare) est sculpté à la clef de la voûte ; lions, rhinocéros, ours, hyène, panthère, hibou, chevaux, cervidés, bovidés, ... (Chauvet).

Il n’y a pas l’existence des “forces surnaturelles”, ni un autre monde d’esprits, d’ancêtres ou de morts, régissant de l’extérieur l’existence, mais l’animalité en puissance,  -les formes contigües du vivant en puissance ; pas d’un côté l’homme et de l’autre les esprits, -ni donc de frontière (ou de paroi) assortie de travestissement animal chamanique ; tout au plus trace ou signe symbolique désignant la conjonction-principe animal-homme, dans le cadre spécifique de leur confrontation (chasse).

 

• néandertal (vallée du Rhône, Ardèche)

Les néandertaliens, présents depuis 200 000 ans, adaptés aux conditions biotope et industrieux, ont-ils été des enseignants pour sapiens-sapiens nouvellement venu en Europe ; sont-ils les auteurs des cavernes peintes de l’Ardèche (Chauvet-Combe d’Arc) et les initiateurs du pariétal aurignacien ?

 

• notes de lecture (dossier archéologia 109, 1995)

 

Au delà d’identités régionales discernables, chaque caverne peinte semble composer un ensemble thématique et culturel spécifique et singulier : prédominance ou primat de tel animal sur tel autre selon les cavernes ; à ce propos, on peut peut-être dans le cadre de la synchronie reprendre l’idée de Lévi-Strauss sur les groupes sociaux se distinguant/s’opposant les uns par rapport aux autres.

Il semble aussi que pour chaque caverne, ses caractères spatiaux déterminent globalement le dispositif peint, lorsqu’il est synchrone, comme un ensemble intégré (ordonné ou agencé, orienté selon l’accès et la profondeur) ;

on note enfin que les dispositifs peints révèlent des associations et couplages (binaires ou ternaires) : animal-thème / abstracts-types / signes et symboles anthropomorphes.

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4,5 millions d’années  (voir 6 millions) : 1er hominidé ;

Il aurait un comportement de charognard ;

Afrique de l’Est : il chasse (éloigne) l’ours, qui disparaît ;

son prédateur est le lion (qui raffole de l’hominidé) ;

chassera-t-il le lion ?

 

 

Les portes de la préhistoire

 

• ethnologie, chamanisme (croyances, représentations, rites ; magie (=médium avec entités naturelles)

Inuits, Buschmen d’Afrique, d’Australie

 

• traces matérielles (os, pierres taillées, gravées, sculptées, bijoux, peintures)

 

1/ la relation avec les animaux

(“sans les animaux nous n’existerions pas”) ;

- la chasse -> le gibier (respect)

- pas de confusion entre sang animal tué et sang menstruel (Inuits);

 

le religieux est espace symbolique :

- “l’île aux esprits, l’île aux saumons, aux phoques...”

(catégorie espace adjacente à catégorie sociale sur le sang)

- la caverne fait partie de l’espace comme entité distincte ; elle n’est pas un lieu régulier (tel celui du campement) ; elle s’inscrit dans un espace diversifié (perçu comme ensemble de sites spécifiques et  lui-même symbolique) ; son espace propre.

espace sonore (l’écho) ; lieu du son, la caverne est le lieu des chants ;

lieu de l’animal ; non pas une magie de la chasse (Breuil), mais un art chamanique concernant la relation aux animaux ; donc un rapport entre les peintures et leurs spectateurs ; réconciliation avec l’animal tué ?

 

lien de l’h avec la nature indissociable ; ce lien est relation, elle-même objet d’une symbolique.

La religion est celle d’une relation avec la nature : terre, roche, végétal, Terre,  pluie, vent, animaux...

 

2/ les rites funéraires

- 100 000ans : à l’entrée de la caverne, sépulture d'un adolescent, sur le dos, bras ouverts, paumes ouvertes où sont déposées des ramures de cerf)

 

• linguistique

Mots fossiles :

- le 1, le doigt,

- l’eau, le feu, terre, soleil, mort, mariage, fécondité*,

- quelques objets divers (l’échange),

- la beauté (ornements, bijoux, gestes)

- je, tu...,

- la main.

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Les peintures de la préhistoire ne peuvent qu’avoir un rapport avec le chamanisme, puisque les cultures de la préhistoire ne pouvaient que probablement être chamaniques ; cette évidence aura donc mis plus de 50 ans à se faire jour, -et si mal encore (pauvreté des écrits éthnologiques sur le chamanisme)...

Mais que les peintures aient été faites en état de transe, je ne le crois pas ; du reste si, comme on commence à le voir et dire, elles correspondent à une métaphysique, sinon à des mythes, et si elles sont donc des représentations culturelles, elles ne sauraient guère être directement expressives d’états  de transe.

En tant que métaphysiques, leur premier contenu est l’animal, l’animalité ;  que les animaux aient été les divinités, voilà qui demande quelque effort à nos consciences, et un saut que nos préhistoriens ne savent franchir ; il n’y a en tout cas dans ces peintures ni le dieu soleil et le culte de la régénérescence cyclique attestés chez les néolithiques et les égyptiens, ni l’idée de création, ni l’humain.

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L’erreur anthropologique de Nietzsche sur les sociétés premières : le caractère originel de la formation morale (la morale préhistorique) ; les premiers gestes ne s’inscrivent pas dans la morale (pas plus que, -versus Deleuze-, dans un oral/graphique) ;

en effet :

[peintures néandertaliennes de la préhistoire

/ cultures du rêve pendant la préhistoire]

on peut retenir comme pivot historique la date de -13 000 ans, glaciation du trias (jusqu’en -8000), fin des cultures premières des peintures animales, dont les néandertaliennes (dont les sites conjoints se superposent à la limite glacière).

-13 000 ans marque la disparition des cultures imaginatives de l’animal (traces historiques de ces cultures : les mythes polymorphes d’Inde, Égypte, indo-européens (Mythra), etc, les totémismes ou chamanismes, -mais partout la représentation de l’animal a perdu sa force de présence empathique), -passage du solutréen au magdalénien (et que se passe-t-il du point de vue de la chronologie de la pierre taillée, hormis l’invention, au magdalénien, du bâton percé et du propulseur ?) ;

que la Terre soit couverte de signes avant 13000 ans, ce n’est pas moi qui le nierait, qui suis l’inventeur du sentier préhistorique de Dompierre sur Nièvre..., mais il faut peut-être reculer encore nos origines (en repoussant le néolithique à -8000 et  à -13000 le mésolithique), les distinguer plus haut, les spécifier, et préciser ceci :

les peintures  animalières (“rupestres”, “cavernicoles” ou “mobilières”) sont d’abord le fait de néandertal ; second point : elles ne participent ni d’un panthéon mytho-religieux animalier, ni d’une magie de la chasse ou de la transe, mais d’une culture du rêve (un peu à l’instar des aborigènes australiens) ; le plan symbolique ou imaginaire de ces sociétés est celui du rêve ; ce sont leurs rêves (d’où cette présence empathique ou quasi-onirique (Maldiney) de l’image, et les superpositions) qu’ils peignent  (le rêve est le corps plein du socius), -et ces rêves sont ceux d’un monde animal (avec quelques espèces dominantes : cheval, bizon, mammouth, félin, renne, bouquetin...) ;  il n’y a pas de souci ou de quête chrono-gonique, pas de généalogie, sinon de filiation (inhumation tant humaine qu’animale, mais peut-être pas d’exogamie, ni de prohibition de l’inceste), l’homme ne (se) représente son milieu comme nature (distanciée), ni donc (se) représente lui-même (sauf indicativement), chacun transcrit ou peint ses rêves, et le rêve collectif dominant est celui d’un phylum animal ; tous rêvent d’un même rêve animal, monde étrange et parallèle, externe et intérieur (objectif et subjectif), projeté par l’image, -d’où l’homme et la nature sont absents ; ce rêve pourrait être aussi message, message du temps ou du recul du glacier, d’une limite géographique et historique, entre sapiens-sapiens (magdalénien) et néandertal (‘solutréel’), entre la pierre signe (art) et la pierre outil (artisanat) ; si je ne m’abuse...  

 

© Romain, 2007

 

contact : romainrd@wanadoo.fr

 

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