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SKARLET

Warblog - Journal de guerre

- XIX -

 - Ennemi -
(mercredi 30 avril 2003)


sur : www.lepoint.fr   

Depuis le début de la semaine, un visage surdimensionné s’affiche sur les devantures des kiosques à journaux : c’est un barbu enturbanné, sans âge, aux yeux cernés, qui essaye de sourire humblement, presque charitablement. L’hebdomadaire politique, qui fait ainsi sa promotion en ville, titre: Le vrai ennemi. - Dans le débat télévisé du lundi soir, l’auteur d’un livre sur les réseaux terroristes islamiques, dont cet hebdomadaire publie des extraits, dit qu’il revient d’une enquête de huit mois à Karachi (Pakistan), où il aurait collecté une série d’informations nouvelles (pléonasme) qui devraient générer la plus vive inquiétude chez nos concitoyens, et notamment celle-ci : le barbu enturbanné pourrait se procurer, voire détenir "la bombe", quand, depuis un certain temps, ce vrai ennemi a disparu de la surface de la terre et qu’on n’est même plus sûr s’il est encore de ce monde. Il se comporte donc un peu comme un ennemi virtuel qui, cependant, incarne une menace réelle...

Cette notion même d’ennemi sanctionne toutes les idéologies qui divisent aujourd’hui la population mondiale en bons et méchants, fidèles et mécréants, selon les chapelles. Qu’elles soient libérales ou autoritaires, ces conceptions du monde ne donnent de fait qu’une seule alternative aux peuples qu’ils abreuvent de bonnes paroles  : vous êtes avec ou contre nous, amis ou ennemis. - Et, bien entendu, tout le monde pense détenir la vérité. Tout le monde est convaincu d’appartenir au camp des bons. Après la Seconde guerre mondiale, beaucoup de nazis convaincus le pensaient encore, ignorant le réel de Birkenau, Stalingrad, Dresde... Quand les Anglais ont pilonné les femmes et les enfants de Dresde (30.000 morts "officiels", bien plus selon d’autres sources), - et quand les Américains ont lâché "la bombe" sur Hiroshima et Nagasaki, - ils le faisaient au nom de la "liberté". De même, à Birkenau ou Auschwitz, les bons pères de famille étaient convaincus de n’exterminer que des "sous-hommes", des "communistes", des "traîtres", des "dégénérés".

Ce qui est exclu de tous les discours officiels des idéologues de service, - leur terrible non-dit, - c’est une souffrance proprement insoutenable. Car l’horreur ne connaît ni bons ni méchants. Son atrocité se partage entre les deux camps, ignore toute ligne de démarcation, tel le "nuage" de Tchernobyl. Voilà ce que les bons et les méchants idéologues passent sous silence : le bain de sang sans frontières que leurs discours sanctifient. - Soit dit en passant, du point de vue pragmatique, cette histoire d’ennemi n’est que l’adaptation du vieil adage: "Gouverner c’est diviser"... - Heureusement, certains ne sont plus dupes. Mais, à chaque fois que la guerre éclate, il est déjà trop tard pour réagir : une machinerie complètement sourde à toute pacification se met alors en route, que personne ne peut plus contrôler. Et ça, les soldats le savent bien mieux que tous les civils. L’homme qui veut arrêter la guerre au milieu d’un champ de bataille est semblable à Don Quixote. Ou au Charlot des Temps Modernes. - Il faut donc réagir avant qu’ils n’arrivent à leurs fins macabres, tous ces apôtres cybernétiques qui veulent notre bonheur jusqu’à l’étouffement...

Mais revenons un instant à l’affiche placardée sur les kiosques, comme un Wanted à l’intention des chasseurs de prime du Far-West. Ce qui gêne, dans la figure d’un tel ennemi, c’est son caractère double: On a l’impression paradoxale qu’il est fabriqué de toutes pièces par une imagination morbide et qu’il peut pourtant frapper à tout instant dans le monde réel comme il l’a déjà fait, de façon tout à fait "spectaculaire". De plus, ses passages à l’acte possèdent une dimension symbolique qui a permis de fédérer un grand nombre de "frères" sous une bannière méchamment prosélyte. - De l’autre côté de la barrière, la campagne américaine en Irak a été "sanctifiée" par le symbole d’une "guerre de libération", qui peut déjà être considérée comme un échec car le résultat, pour l’heure, n’est que chaos, destruction, souffrance et désir de revanche. - D’ailleurs, le barbu enturbanné avait été étrangement absent de la campagne irakienne, ciblée sur le déboulonnage de celui qu’on continue d’appeler, par habitude journalistique, le "Raïs". Et puisque ce déboulonnage doit être considéré comme un succès, on s’empresse de ressortir le barbu enturbanné du placard. - On a beaucoup insisté sur le fait qu’il est une créature des services secrets américains. Quoi qu’il en soit, cet homme possède une dimension de bouc émissaire virtuel qui arrange un peu tout le monde. Voilà pourquoi on peut aller jusqu’à dire que même si ce vrai ennemi n’existait plus, certains faux amis, à coup sûr, le réinventeraient.

Ajout 
(vendredi 9 mai 2003)

Ce matin, j’entends à la radio que le quotidien Le Figaro présente aujourd’hui un article où une historienne, chercheuse au CNRS, se dit "pratiquement convaincue" de la mort de l’ennemi en question. On s’empresse d’ajouter à la radio que, même sans lui, son mouvement constitue toujours une menace très réelle et très grave. Ben voyons.

Avec l’article, le site web du Figaro montre cette image :

Journal de guerre,
quatre ans après

(février 2007) 

Le samedi 30 décembre 2006 - début de l'Aïd el Adha, fête musulmane du sacrifice - vers 6:00 du matin (3:00 GMT), trois ans après avoir été capturé dans sa cache souterraine, Saddam Hussein est exécuté par pendaison. Et la guerre civile, qui sévit depuis presque quatre ans dans ce nouveau Vietnam qu'est l'Irak, s'enflamme de plus belle. S'y joue un "martyrologue islamique" sans précédent. Dans les pages qui précèdent, le début de cette guerre a été documenté à travers ce que les médias français "traditionnels" (radio, télévision, presse) en disaient et la "couverture" qui a été faite de l'offensive "anglo-américaine" sur Bagdad. Depuis, en matière de médias d'information, Internet s'est définitivement imposé avec le développement exponentiel des "connexions rapides". Aucune modération des exhibitions et voyeurismes extrêmes n'est plus possible. Les spectateurs des images et sons volés de l'exécution houleuse, que l'on a réservée au "Raïs" de naguère, se comptent par millions à travers le monde. Et les hébergeurs de vidéos se frottent les mains. Plus frileuses, les télévisions ont fini par suivre. Audimat oblige. Et les espaces publicitaires se payent, là aussi, au prix fort. Tout avait commencé avec l'attaque du 11 septembre 2001. Le gouvernement de George Bush jr. a cru opportun de répliquer par une guerre "conventionnelle" menée avec des "technologies de pointe". D'abord dans l'Afghanistan des Talibans, un pays dont la Russie conserve un souvenir marquant, puis dans l'Irak originairement laïque de Saddam Hussein, déjà attaqué début 1991 par George Bush sr., un pays miné par une guerre meurtrière avec l'Iran (1980-1988) et affamé par l'embargo occidental (dès 1991). Ces guerres ont été déclarés et menés comme si l'on pouvait raisonnablement venir à bout d'un adversaire invisible avec une armada pratiquant l'overkill militaire et une couverture médiatique planétaire ("embedded"). L'offensive terrestre sur Bagdad, qui a vu la débandade rapide de l'armée irakienne et l'effondrement des structures de pouvoir existants, s'est soldée par un chaos sans nom et une guerre civile, devenue depuis un état permanent, qui supplante même la situation dans l'actuelle Palestine. Dans un tel chaos, l'adversaire se meut évidemment comme un poisson dans l'eau.


Saddam Hussein après sa capture en décembre 2003
photographié par un soldat américain

 

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