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SKARLET

Warblog - Journal de guerre

- XV -

Vingt-deuxième jour de guerre
(jeudi 10 avril 2003)

7:54. Batignolles. C'était devenu un réflexe matinal : tituber jusqu'à l'ordinateur et, au passage, allumer la radio, la télé. Puis écrire tout ce qui se disait dans mon dos. Je n'ai aucune formation de sténographe. C'est ce qui explique beaucoup de points de suspension. Mais pas tous. Je m'aperçois que je n'ai pratiquement pas vu les images diffusées par les médias français (hertziens : je n'ai ni câble ni satellite ni ADSL). Les images flashaient simplement dans mon dos comme de petites explosions de lumière polychrome. À l'instant, 8:00, le speaker de France 2 annonce cette déclaration américaine: "La guerre est loin d'être terminée." Il y aurait de nombreuses poches de résistance dans les principales agglomérations du Centre et du Nord de l'Irak. En reprendrait-on pour une petite semaine ou deux? En tout cas, les Américains semblent l'avoir eue, leur guerre de libération. Mais d'autres guerres se poursuivent, ailleurs, inlassablement, en sourdine, à l'écart de la médiatisation occidentale, dans un terrible silence. D'autres encore se préparent sans doute. Tant qu'on produira de l'armement. Sur l'immeuble d'en face, le levant peint la cheminée et le haut de la mansarde en rouge. Une voiture démarre. La vie continue. Il faut parer au plus pressé. La vie est précieuse. Il ne faut pas la gâcher. -  J'éteins la guerre pour fumer la cigarette de la paix. Seul dans le bruit des mobylettes.


source: AP, sur cnn.com

Vingt-troisième jour de guerre
(vendredi 11 avril 2003)

3:50. Batignolles. Je dois avouer que j'ai été victime de mon optimisme, hier. Et de l'euphorie médiatique autour de la chute de Bagdad. Vrai : une guerre ne s'éteint pas comme un poste de télévision. La métaphore serait plutôt à chercher du côté d'un gigantesque incendie de forêt. 3:53. France Info. Bush à la TV irakienne: "Le cauchemar que Saddam Hussein a fait subir à votre pays sera bientôt terminé." Situation chaotique à Bagdad. Les hôpitaux font l'objet de pillages. Attentat suicide au Nord de la ville : il y aurait plusieurs morts américains, selon CNN. - Entrée à Kirkouk, hier, des forces spéciales américaines et des combattants kurdes. La Turquie redoute une présence kurde permanente dans cette ville. En l'occurrence, elle se déclare prête à une intervention militaire. - Le CAC40 a perdu 2,75% à la clôture, hier. Le Dow Jones gagne 0,3%. 4:00. Titre. "Bagdad est tombé mais la guerre continue en Irak." Des combats sporadiques se poursuivent en ville. Et les bombardements aussi. - J'entends des extraits du discours de Bush aux Irakiens. Il est d'une naïveté consternante. Wishful thinking. Et surtout :  il est en anglais.  Les sous-titres arabes ne changent rien à cette déclaration de bonne camaraderie, qui ressemble fort à une tutelle et qui véhicule une bonne dose de cynisme après tous ces bombardements, vécus comme un affront par les habitants. 4:30. Le discours de Blair est d'un niveau quelque peu plus acceptable. Il assure que les "Britanniques ne resteront pas un jour de plus que nécessaire en Irak", que le pays ne sera gouverné ni par la Grande-Bretagne ni par les États-Unis ni par les Nations Unies mais par le peuple irakien. Or, faute d'électricité, les Bagdadis n'ont pas pu suivre ces discours émis depuis un avion sur les canaux de la TV nationale. - Saccage de l'ambassade d'Allemagne et du Centre culturel français dans la capitale. - Les Américains lancent des piques en direction de la Syrie. - Entre -3 et 0°C à Paris, cette nuit. 5:00. Titre.  "Le chaos et l'anarchie règnent toujours à Bagdad." Les organisations humanitaires n'arrivent plus à coordonner leurs actions. - Vladimir Poutine, Jacques Chirac et Gerhard Schröder se retrouvent aujourd'hui et demain à Saint-Pétersbourg. - L'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) annonce 3031 cas probables de "pneumopathie" dans le monde et plus d'une centaine de décès pour l'instant. - Arrêt définitif des vols du Concorde. -


Bagdad (Reuters) et Bush à la TV irakienne, hier.

11:00. France Info. "Bagdad sombre dans le chaos." Les commerçants font usage de leurs armes sur les "maraudeurs". - Les villes de Kirkouk et de Mossoul sont tombés sans combats. Pillages. Règlements de compte. - En signe de protestation (contre la situation d'insécurité en Irak), la CICR (Croix-Rouge Internationale) annule une opération dans le Sud. 

11:05. R F I.  Selon un secrétaire américain de la Défense, la France devra payer le prix de sa non-intervention (!). - Selon une source anonyme, l'OPEP (Pays Exportateurs de Pétrole) pourrait réduire le volume du pétrole mis sur le marché.

13:00. France 2. Reportage à Mossoul. Scènes de pillage. Saccage de villas de "hauts dignitaires". 

13:04. T F 1. Reportage à Bagdad. Un homme: "Il n'y a plus de sécurité dans le rue depuis que les Américains sont là." - La population de Mossoul "s'est laissée aller à la frénésie du pillage." - Reportage sur l'assassinat d'un fils d'ayatollah devant le tombeau d'Ali, à Nadjaf, ville sainte du chiisme. 

13:12. France 2. Envoyé spécial en direct de Bagdad: "Je n'ai trouvé aucune mosquée d'ouverte (dans le quartier que j'ai visité)... L'attitude américaine paraît absolument incompréhensible... ils laissent faire tous les pillages... Il n'y a plus d'État depuis quarante-huit heures et ceux qui ont fait tomber Saddam Hussein (les soldats américains et britanniques) sont maintenant haïs par la population." - Envoyé spécial au QG américain (Doha, Qatar): Pour l'instant, les Américains hésitent à faire des opérations de police (visant à retrouver Saddam Hussein) afin ne pas passer pour une puissance d'occupation. - Présentateur: "...Pour les hommes d'affaires, nous sommes déjà dans l'après-guerre."(!) Reportage. 50% des contrats de reconstruction devraient être laissés à des sociétés non-américaines. Les Britanniques: Nous espérons que les sacrifices que nous avons faits aux côtés des Américains compteront pour quelque chose (dans la gestion future du pétrole irakien). - La dette d'avant-guerre de l'Irak est estimée à 400 milliards de dollars (!).

16:53. France Info. Situation confuse dans le Nord de l'Irak. À Kirkouk, les combattants kurdes se sont retirés. Pillages. - La Grande-Bretagne pense à réduire le nombre de ses soldats dans le Golfe (actuellement au nombre de 45000). 16:58. Bourse. CAC40 : +1,38%. Francfort : +1,7%. Le Dow Jones perd 0,09%. Le dollar progresse de 0,5% par rapport à l'euro. 18:07. CAC40 : +1,05% à la clôture.

18:46. R F I. Entretiens sur le Proche et le Moyen-Orient. Un dissident irakien (chiite): "(L'imam assassiné à Nadjaf était) modéré, tolérant... c'est une grande perte... j'étais très, très choqué en apprenant (sa mort)..." - Éditorial: "L'après-Saddam Hussein a donc commencé..." Rumsfeld : le (futur) gouvernement irakien doit normaliser ses rapports avec Israël... "La reconstruction du Proche-Orient ne peut pas faire l'impasse sur un État palestinien viable." 19:00 (17:00 TU, 20:00 à Bagdad). Titre. Mossoul libérée à son tour du joug de Saddam Hussein pour plonger aussitôt dans le chaos. Reportage: "Plusieurs colonnes de fumée s'élèvent du centre-ville... ce ne sont pas les combats, ce sont les pilleurs... au petit matin, les Peshmerga sont entrés dans la plus grande ville du Nord... deux banques ont été pillées, le siège de la police est en flammes..." - Kirkouk également livré au pillage. Bagdad de même. - Toujours pas de trace de Saddam Hussein. - Bien que la guerre ne soit pas finie, la Grande-Bretagne annonce déjà un allègement de son contingent militaire. - Troisième raid israélien de la semaine dans la bande de Gaza (un missile, trois blessés palestiniens).


la Une du Point, sur lepoint.fr
sous-titre: Saddam Hussein
 au temps de sa gloire

La chute. Un article de Pierre Beylau, extraits: > (...) Cette guerre d'Irak, voulue et planifiée par une Amérique traumatisée par les attentats du 11 septembre, n'est pas une expédition ponctuelle de police internationale, mais une opération stratégique. L'affaire des armes de destruction massive n'était qu'un prétexte. Il s'agit ni plus ni moins de remodeler la carte politique du Moyen-Orient, d'y instaurer un cercle vertueux qui verrait, à terme, triompher la démocratie et l'économie de marché entre Nil et Euphrate. Vaste programme. (...) L'Irak est une mosaïque ethnique et religieuse avec une société fondée sur des solidarités tribales et claniques. Soixante pour cent de sa population est chiite, la moitié des 40 % de sunnites sont kurdes. L'Irak est situé sur une ligne de fracture historique entre le monde perse et le monde arabe, entre l'Islam sunnite et l'Islam chiite. Le parti Baas tenait d'une main de fer cet ensemble hétérogène. Son effondrement laisse un vide abyssal. (...) La fin du régime irakien, c'est aussi l'acte de décès du nationalisme arabe laïque. Le baasisme à l'irakienne s'était dévoyé, dégradé. Mais il se situait dans la mouvance d'un courant politique qui prit ses racines dans la Turquie d'Atatürk. La disparition du Baas irakien signe l'échec de la tentative de créer une identité arabe dégagée de l'Islam. Une fois disparus du paysage politique les uniformes vert olive des baasistes, on risque fort de voir se profiler à l'horizon les turbans noirs des ayatollahs de Kerbala et Nadjaf, les deux villes saintes du chiisme irakien. < (Dans Le Point n°1595, daté de ce jour, p.34)



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