SKARLET

Warblog - Journal de guerre

17:57, France Info. Cac40 : -2,32%. - Bagdad touchée par de violents bombardements à la mi-journée. - Bush à Camp David: "La guerre sera aussi longue que nécessaire pour gagner…" Les uns après les autres, les sites stratégiques de Bagdad sont détruits… Les combattants kurdes ont franchi pour la première fois la frontière de la zone autonome du Kurdistan vers le territoire sous contrôle irakien… 350 civils auraient été tués selon les autorités irakiennes… Un caméraman australien est mort au Kurdistan, un journaliste britannique à Oum Qasr…

18:05, Europe 1. George Bush et Tony Blair se sont faits durement accrocher à la conférence de presse. Bush répond avec des phrases courtes, le sourire en coin. Tony Blair répond longuement; il reconnaît qu'il y a des divisions, mais affirme qu'il a fait le bon choix. Donald Rumsfeld: "Il n'y aura pas de cessez-le-feu en Irak…" - La coalition progresse vers Bagdad. - Un front Nord a été établi. En pleine nuit, 1000 rangers se sont déployés pour sécuriser une piste d'atterrissage. - Un correspondant: En ce moment même, des bombardements à Bagdad.

17:41 (temps universel), RFI. Un commentateur: "Les Américains ont fait preuve d'une arrogance incroyable… Les Irakiens ont amené les Américains à leur niveau… Dans les jours qui viennent, les Américains ne sont pas en état de rentrer à Bagdad… pour prendre, une rue il faut mille hommes (un régiment d'infanterie)… il peut se passer des choses très compliqués pour les Américains…" - Des milices kurdes auraient pris possession d'une position irakienne près de Kirkouk… - Le ministère de la Santé irakien accuse les forces américaines d'utiliser des bombes à fragmentation… - Fox-news : Ultimate sacrifice - ce slogan accompagne les photos des soldats tués qui passent en boucle sur la chaîne américaine.

19:31, France 3. Un reportage de correspondants de guerre à la frontière irakienne: "Sur l'autre route qui traverse le désert, pas âme qui vive… deux automitrailleuses abandonnées… " Puis les habitants d'un village bombardé, en colère, choqués. - Un nouveau reportage, sur Bagdad. Un homme: "Nous nous battons pour les nations, la culture arabes, contre l'impérialisme américain…" - Un autre: "Le stylo dans une main, la kalachnikov dans l'autre, ce sont mes deux armes pour défendre la nation arabe contre le sionisme…" - Un correspondant par téléphone: "Le sentiment anti-américain est toujours très vif… le régime l'exploite…" - Rassemblement dans toutes les grandes villes d'Algérie contre la guerre en Irak. - Un commentateur sur le plateau: "Nous n'avons aucun journaliste sur le terrain en Irak, hormis ceux qui sont embarqués sur les chars… Nous ne savons pas où bombardent les B 52 partis d'Angleterre… En 1991, les Irakiens ont eu 140.000 victimes… on peut intellectualiser la guerre mais la vérité, c'est qu'il y a des larmes, du sang, en bas, sous les bombes…" - Tony Blair: "The conflict is not yet over…"

19:45, Arte. Titres. Arrivée d'un millier de parachutistes dans le Nord de l'Irak. Dans le Sud les combats freinent la progression vers Bagdad… - Un reportage sur l'explosion des deux bombes à Bagdad, hier après-midi. Un docteur: "Il y a de nombreux blessés, aussi… celui-ci a perdu les deux yeux… voici ma famille, et voici mon arme… on est prêts à se battre…" Arrivée d'un enfant blessé à la tête par un obus… - Un reportage sur le premier convoi humanitaire. "Ce sont les plus forts qui font la loi… " Une femme: "Je n'ai rien eu… il n'y (en) a que (pour) les hommes…" Commentaire: "Les Irakiens se sentent humiliés…" Un homme: "Ça fait sept jours qu'on a pas d'eau… c'est une insulte…" Un autre: "On ne veut pas de Juifs ici… on se battra…" - À L'ONU, la plupart des orateurs fustigent l'intervention américaine. - Bush à Camp David: "C'est au peuple irakien de choisir la forme de ce (futur) gouvernement…

20:00, T F 1. Reportage sur la journée à Bagdad et l'impact des deux missiles. Une femme: "Mon fils était vendeur ambulant… je lui ai dit de ne pas sortir… il a dit que tout était calme, et il est mort…" Selon les médecins de Bagdad, on compte déjà mille blessés en ville. - Présentateur: "Le soleil est revenu sur Bagdad…" - Un reporter sur place: "À la télévision, les discours de Saddam Hussein sont passés en boucle…" - L'envoyé spécial au téléphone: "La télévision diffuse toujours des reportages… des images de prisonniers américains… La vie est toujours ponctuée de bombardements… On semble s'habituer maintenant… des gens de plus en plus nombreux n'hésitent pas à aller aux terrasses des cafés… " - Selon les Américains, les combats auraient fait mille morts dans les rangs irakiens. Les Irakiens démentent… Nassiriya continue de résister… Les unités qui ont franchi l'Euphrate (à Nadjaf) continuent leur progression vers Bagdad… - Commentatrice d'un reportage: "Images diffusées en boucle sur les télés arabes : les premiers blessés de Bassora… on dit que ce sont bien des quartiers résidentiels qui ont été détruits… c'est désormais la distribution de l'eau qui est alarmante… 400.000 personnes sont à court d'eau… pour l'heure, les troupes américano-britanniques ne sont toujours pas entrés dans Bassora…"

21:10, France 2. Reportage sur les équipes de journalistes à Bagdad. Commentaire: "Un même objectif : photographier, filmer tout ce qu'ils peuvent… - Nous ne pouvons filmer que ce que l'on veut bien nous montrer…" - Le correspondant de la chaîne fait la visite guidée du centre de presse. - Je constate une certaine forme de nombrilisme. C'est presque trivial de le dire. Je me pose la question de savoir ce que serait un vrai travail de journaliste. Un clandestin qui s'infiltrerait sur le "terrain", comme ils disent pudiquement? Mais ce sont les réseaux de "distribution" de l'information qui sont sous contrôle, non les témoins. Ceux-là ne manquent pas, bien au contraire. Mais quand s'exprimeront-ils? Quand paraîtra le premier roman dans Bagdad sous les bombes. Berlin (-1945), Beyrouth (1975-), ou Bagdad ce soir : les villes sous les bombes non plus ne manquent pas dans l'histoire récente… Aujourd'hui, une larme m'est venue, subrepticement, seul face à l'écran où affluent les injustices et les absurdités, l'impuissance des pauvres gens surtout. Leur véritable souffrance ne fait que commencer. Et les "crissements de dents" aussi… - Le reportage continue. On entend une foule en colère qui hurle, qui en veut, prête à lyncher le premier venu… - On montre les images des soldats exhibés par la télé irakienne… - On parle de la "position humiliante" de ces prisonniers, qu'ils soient occidentaux ou orientaux. Et l'autre humiliation alors? L'humiliation de la faim, de la soif, de la peur et de la douleur infligée à la population civile? C'est vrai qu'on en parle aussi, mais on a encore trouvé un paravent avec cette "position humiliante" des soldats montrés par les deux camps : ce sont là des professionnels qui ont choisi la guerre. Ces soldats-là sont entraînés. Leur humiliation est un risque du métier, sans rapport avec la mort d'un enfant de maladie ou de blessure en l'absence de traitements adéquats, qui pourtant foisonnent dans toutes les pharmacies occidentales. La population civile est innocente, exploitée, terrorisée, meurtrie, impuissante, et mille fois humiliée par des actes irréparables… inexcusables…

22:00, France 2. Émission de reportages. Nouveau "sujet". Sur les "gazages" de Saddam Hussein (en 1988). L'équipe retrace le calvaire des victimes, fait l'état des lieux, aujourd'hui. Il y a quelque chose d'insupportable dans le commentaire, qui n'est pas du même ordre que l'insupportable dont il est question. On veut faire une sorte de poésie cynique de l'insupportable : on fait des phrases bien tournées, construites, pour narrer l'insupportable. Quelqu'un n'a-t-il pas dit qu'après Auschwitz, les mots sont impropres à dire ces choses-là? Quelqu'un qui est allé faire un tour là-bas avant les visites guidées d'aujourd'hui, même si les visites guidées étaient également à la mode quand ce camp de la mort "fonctionnait" encore. - Ici, le commentaire est sobre, réaliste, neutre, bien dégagé derrière les oreilles. Soudain, un homme: "Vous devez dire à la communauté internationale que Saddam n'est pas le seul responsable… vous qui leur avez fourni les armes chimiques, vous aussi, vous êtes responsables…!" Il a raison, cet homme. Nous aussi, nous sommes responsables. Il m'arrive de penser que notre luxe relatif en Occident n'est possible qu'au prix de la pauvreté planétaire et du pillage systématique, de la désertification croissante de la Terre. 22:49. Autre reportage sur les puits de pétrole en feu au Koweït (1991). Commentaire: "Les lances à eau se sont tues, impuissantes face à la fureur du brasier." Une belle phrase, indeed !

Bagdad. Image d'Al-Jazeera, 
diffusée ce jour sur cnn.com