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Solitude. La guerre, les persécutions, ça crée la solitude. Anne Frank.
Pas de nouvelles d'Anne Frank à Bassora ou à Nassiriya. Dans nos rêves les
plus osés, nous rêvons d'une nouvelle humanité, à Berlin, Beyrouth ou
Bagdad, villes pilonnées. Dans les bunkers. Huis Clos : "L'enfer,
c'est les autres"… Alors nous nous prenons à rêver d'une humanité
nouvelle…
Aujourd'hui, tous les barjots vont
faire leurs farces sur le terrain : je n'ose même pas allumer la radio. Déjeuner
en paix. Sans tomates farcies.
Pourquoi un nième journal de guerre?
Mais surtout : pourquoi une nième guerre? Hier, dans l'émission Mots
croisés (France 2), Kouchner (apparenté PS) s’est prononcé pour
cette guerre. Si j'ai bien compris. Mais les politiciens, même s'ils sont
médecins, peuvent raconter des conneries. Il n'y a qu'à voir les autres...
Je dois dire que je suis contre la
guerre par principe. Comme d'autres sont végétariens. Une petite côte
d'agneau de temps à autre, c'est contre le principe. Les Musulmans ne boivent
pas d'alcool. Par principe. Or s'il est libéral, un politicien bouffe, en
principe, à tous les râteliers…
Mais me voilà cynique, et je n'aime
pas ça. C'est cette guerre… Elle nous rend un peu de nos instincts basiques :
nous sommes tous des cyniques parisiens….
En effet, l'optimisme n'est pas de
mise par temps de guerre. C'est mauvais pour la vigilance. Ça peut partir de
n'importe où, dit le pessimiste. Et il fait gaffe où il met les pieds.
Klaxons. La guéguerre des
automobilistes. Les utilisateurs. Les petites gens d'ici. Ceux qui achètent
l'essence qui est produite là-bas où ils se battent. Là-bas sur le
"terrain".
Je me demande ce que serait une
véritable écriture des événements. Ici, nous écrivons par empathie. Nous
repensons aux récits de nos parents, grands-parents… La guerre, ses horreurs
et ses monstruosités, ont toujours existé. C'est ce qu'on prend pour argument
dans la démonstration de sa nécessité en toute éternité. Or il y a des
coupures. On les oublie trop facilement. L'évolution n'est pas continue, elle
procède par sauts, par "révolutions"… les mouvements pour la paix
sont issus de la Révolution de 1966-69 (année érotique)… Un jour, une
humanité existera peut-être, qui aura compris le sens de cette révolution. Et
avec un peu de chance, elle survivra : ça, c'est de l'optimisme, mais il
n'empêche en rien de commencer le travail dès aujourd'hui et de rester
vigilant du côté obscur…
Aujourd'hui, Premier avril, je
n'allumerai pas la radio. Je ne mangerai pas de guerre au déjeuner et au
dîner. Aujourd'hui, j'oublie le côté monstrueux de notre espèce. Je ne
prendrai ni porc ni tomates farcies. Aujourd'hui, j'écoute ma voix intérieure.
Socrate l'appelait son daimon. Certains excessifs disent même qu'elle
est directement branchée sur le Cosmos. En tout cas, elle ne sera pas branchée
sur France-Info.
Je m'aperçois que je me
suis fait ankyloser par les discours ambiants. Ces commentateurs, chroniqueurs,
animateurs ont la parole facile : des pros du propos et de la prose. Et ils
vidé les mots de leur sens. Recréé le syndrome de Lord Chandos (Hugo von
Hoffmannsthal, 1901). Mais si nous perdons le sens des mots, que nous
restera-t-il, à nous, êtres de parole? les gestes? les images?
Ah les images ! - Oui, c'est sans
doute aussi une guerre des images. Avec les images virtuelles, tout est
possible. Ainsi, nous ne distinguons plus le réel de l'imaginaire et du
symbolique. C'est un grand foutoir où les apparences sont trompeuses…
Il faut peut-être revenir à la
perception sensible du monde réel, à quelqu’un comme Thomas. Certaines
choses sont réellement impossibles, les hommes sur le terrain devraient se le
tenir pour dit. Un jour, eux aussi, ils partiront, disparaîtront. Et que
laisseront-ils aux enfants? Des charniers et des ruines. Ils ne feront pas une
"belle mort" puisque leur vie était une succession de massacres et
que leur idéologie, si elle se drapait de belles valeurs, comportait une
dimension pragmatique vouée au crime, au viol, au meurtre. Ils mourront dans d’affreux
cauchemars. Ils seront tourmentés. Pas besoin de sermons théologiques pour
ça. Leur mauvaise conscience suffira amplement. Puisque leur idéologie se
drapait de belles valeurs…
Et c'est vrai sur tous les fronts. Il
faut confronter les discours aux actes, mesurer la théorie à la pratique de
ceux qui parlent, montrer la pragmatique de ces beaux discours, toujours
motivés par une "pensée de derrière", comme dirait Pascal. Dans le
cas présent, on peut l’appeler : "mettre la main sur le pétrole"
ou "bâillonner son peuple" ou encore "être
expansionniste". C'est toujours une raison profondément matérielle qui
motive des actes barbares comme ceux qui, par principe ou nécessité de survie,
sont commis en temps de guerre. Les soldats ne sont ici que des exécutants,
souvent de pauvres bougres qui n'ont rien trouvé de mieux à faire dans la vie.
Ils sont souvent manipulés, endoctrinés. Et ils cherchent à ne pas se faire
tuer, même s’ils ont compris l’inutilité de la guerre dans laquelle ils
ont été embrigadés…
Cette inutilité était patente dès
la Première guerre mondiale, après une vague d’enthousiasme où les
conscrits partaient sur les champs de bataille "la fleur au fusil",
serrant leur belle une dernière fois sur le quai d’une gare allemande ou
française. Pour la suite, on lira les monologues de Bardamu dans le Voyage
au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline. Ou Le feu d’Henri
Barbusse. Car quand la fleur fut fanée, il n'y avait plus que la boue et le sang, - le terrible réel d’une guerre parfaitement inutile, - parce que deux
"vieilles démangeaisons" d'empereurs, comme dirait Rimbaud, amplement
soutenus par les industriels des deux bords (qui ne se gênaient pas de fournir
les deux
camps), avaient décidé de jouer avec leur nouvel armement.
Mais on se réfère aujourd'hui à la
Seconde guerre mondiale. C'est une référence constante. On dit que la Seconde
guerre mondiale était nécessaire pour arrêter, éliminer le tyran, et on fait
la chasse aux Pacifistes. On oublie que la tyrannie n’a été possible que sur
le fond de l’humiliation et surtout des "réparations" de la
Première guerre mondiale, impossibles à éponger par le gouvernement
socialiste d’Ebert en Allemagne (1919-1925). Et la Première guerre mondiale
était parfaitement inutile. Or elle est directement responsable de la terrible
crise économique de l’année 1923 en Allemagne puis, par
"accumulation", du crash mondial de 1929, parti de Wall
Street un certain Jeudi noir.
Ensuite, un homme est venu faire le
ménage : il a relancé l’armement, "nettoyé" les rues de ses 6
millions de chômeurs et propagé une idéologie meurtrière qu’il avait
bricolé en taule, s’inspirant de toutes les conneries qu’il avait entendues
dans sa vie. À qui la faute? à ceux qui disent des conneries? à ceux qui lui
ont ouvert les portes du pouvoir? aux masses réduites à l’état de bêtes
de somme qui répondaient par des bêlements et des meuglements à ses discours
parfaitement incohérents, inconsidérés et surtout irréalistes…
Ici, la fleur au fusil se sera
conservée un peu plus longtemps. Mais, entre 1941 et 1943, tout le monde aura
compris en Allemagne que la guerre allait être perdue, même les dirigeants. Or
ils ont continué d’envoyer des gamins au casse-pipe jusqu'en avril 1945…
La guerre d’aujourd'hui n'a rien à
voir avec la Seconde guerre mondiale. C'est bien la Seconde guerre du Golfe. Et
la situation d'avant guerre était bien
moins menaçante. Le tyran allait être désarmé pacifiquement. Son peuple est
devenu un peuple martyre à cause de l’embargo occidental et maintenant d'une
barbarie guerrière dont les pires atrocités sont sans doute à venir. Mais, aujourd'hui, on
tape sur un fantasme. Or personne ne peut abattre un fantasme avec des missiles,
fussent-ils high-tech. Et le "problème des victimes civiles", voire d’un
grand nombre de soldats (occidentaux et orientaux) utilisés comme chair à
canon, va se poser avec virulence quand la paix sera revenue (si tant est qu'elle
revienne).