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SKARLET : “Médialectiques” (11)

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World Wide Web
 - Round 2 -
commencé le 10 décembre 2006
(dernière actualisation : 18/12/2017)

Face au remplissage (2)

      Voilà, on peut enfin s’exprimer, - même si certains s’expriment beaucoup, beaucoup plus que les autres, l’immense majorité, que l’on a naguère taxée de silencieuse, quand elle avait pour seul moyen d’expression publique les émissions radiophoniques de Ménie Grégoire ou de Macha Bérenger, le Juste Prix ou les lettres à Libé. Avec les commerciaux, ce sont à présent les "professionnels de la communication", ou les "médiatiques" (1), qui ont investi la Toile. Rien de surprenant à cela puisqu’ils continuent simplement de faire leur métier, avec cependant l’effet pervers qu’ils frappent d’indifférence, sans peut-être toujours le souhaiter, l’immense majorité des usagers qui ont également saisi l’occasion de mettre en ligne leurs pensées. La conclusion un peu désabusée du premier billet sur les élections françaises de 2007, - le seul titre "course à la présidence" (abandonné depuis)  faisait déjà apparaître 64.100 entrées sur Google, - et les observations sur le "remplissage" du "round 1" ci-dessus cherchaient à faire remarquer que le foisonnement des "pages personnelles" sur Internet débouchait sur une sorte d’annulation par "overkill"  de ces millions de contributions, souvent triviales mais parfois très originales (2). A cela, il faut maintenant ajouter l’accaparement du réseau par les rédacteurs professionnels qui, certes, ont souvent une "bonne plume", même si l’on constate des différences de niveau assez flagrants, mais dont les propos restent souvent anodins, s’ils ne sont pas asphyxiés par cette terrible personnalisation et mise en scène de soi, qui semblent constituer l’un des traits caractéristiques de notre époque et fasciner beaucoup de gens. C’est ce subjectivisme, - sans doute la face cachée de la prétendue "objectivité" à laquelle les rédacteurs sont tenus dans leur travail, - qui fait de bien des "blogs professionnels" un "mix égologique" assez peu savoureux pour qui serait à la recherche de contributions "originales". Certes, l’originalité est le mot d’ordre dans cette profession, - qu’elle partage d’ailleurs avec le métier de publicitaire, - mais ce qui est présenté et sans doute perçu comme "original" par beaucoup de lecteurs est tenu de respecter certaines consignes qui n’autorisent ni une expression tout à fait libre ni une réflexion inédite sur le monde, car le risque de faire sauter les "conventions" et les règles établies va de pair avec la possibilité peu réjouissante de perdre sa position. Même si beaucoup d’entre eux ne le concèderaient pas, les rédacteurs professionnels savent bien qu’ils ne peuvent absolument pas dire tout ce qu’ils voudraient ou "se lâcher" dans les blogs qu’ils signent, car ils s’expriment sous le contrôle éditorial de la rédaction qui les emploie ou bien, s’ils disposent de ce contrôle éditorial, ils sont obligés de pratiquer une autocensure plus ou moins importante en relation avec les options politiques (ou "apolitiques") qui sont les leurs, qui forment leur "identité". Et s’ils publient des blogs anonymes, ils s’exposent à la même indifférence générale que des millions d’autres rédacteurs, ce qui leur apparaîtrait alors sans doute comme une forme insidieuse de censure. - D’autre part, une consigne importante, que les rédacteurs respectent implicitement ou plus explicitement, est qu’ils s’adressent à un lectorat bien précis qu’il faut "fidéliser" ou "ne pas décevoir". Ainsi, qu’ils le veuillent ou non, les rédacteurs écrivent en fonction de certaines attentes (et "attendus"), ce qui n’a évidemment rien de problématique si, comme souvent, ce "pacte" est librement conclu avec un public qui, - le journaliste Franz-Olivier Giesbert en sait quelque chose, - n’est pas le même pour Le Nouvel Observateur, Le Figaro ou Le Point. Or, le fait que cela ne pose aucun problème à la plupart ne signifie pas qu’il n’y a pas de problème du tout. - Dans ces conditions, l’originalité, si elle consiste à livrer un aperçu inédit du monde contemporain au risque de bousculer nos habitudes de pensée et nos conduites, devient un concept très relatif. Une certaine forme d’originalité se retrouve certes dans le style, puisqu’il faut toujours "se démarquer" des autres, même si l’on peut bien souvent repérer le même moule de "brillant élève" dans ces contributions reçues comme "originales" ou "spirituelles", mais il semble que l’aisance ou l’originalité stylistique, pour peu qu’elle existe, se fasse au dépens du "contenu" qui, une fois isolé de la forme sous laquelle il est présenté, reste souvent ténu et ne diffère pas fondamentalement de ce qui est livré dans les "publications officielles" de ces mêmes rédacteurs. De plus, l’originalité, au sens fort de la "nouveauté", aura toujours du mal à s’accommoder de l’aisance stylistique ou plutôt de ce qui présenté et perçu comme tel à une époque déterminée. D’ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler que beaucoup de créations et de pensées originales ("inédites", "novatrices"), farouchement refusées ou franchement ignorées en leur temps, font aujourd’hui partie de ce que les curateurs établis appellent le "patrimoine de l’humanité" tout en poursuivant un travail de sélection impitoyable sur la création "contemporaine" et, par la force des choses ou la nature de leur fonction, extrêmement "orienté".

Dans la société de communication

       Pour qui voudrait apporter une vision inédite, ou simplement une analyse rigoureuse d’un monde dont la complexité ne cesse de croître avec sa "mise en réseau", il devient donc, face au volume actuel d’Internet qui ne cesse lui aussi de croître, quasi impossible de se faire entendre. - C’est ainsi que triomphe la "société de communication" où tout le monde a "virtuellement" la "possibilité" de communiquer, - possibilité qui ressemble fort à un impératif, puisqu’il s’agit également de vendre toute cette pacotille au clinquant design qui, seule, permet la forme de communication dont il est question. Car c’est une communication basée sur l’absence, l’indifférence générale et l’esseulement croissant des "individus". Or, tout est lié. Une économie qui cherche à vendre ses produits, une société qui prône l’individualisme et finit par "désocialiser" ses membres, une forme de communication "virtuelle" qui implique dans les faits la séparation ou l’absence des "communicants". Et nous y voici tous "abonnés". "Forfaits" Internet et antivirus, mobile et câble. Sans compter le matériel, déjà "obsolète" au moment de l’achat. Que d’argent dépensé dans ce monde virtuel, quand d’autres, beaucoup d’autres, sont à la recherche d’un bout de pain, d’un peu d’eau et d’une couverture pour survivre un jour de plus. Mais communiquons donc puisque nous avons payé pour ça. Et de la grotte, un écho confirme d’une voix forcément caverneuse: Oui, communiquons donc puisque nous sommes payés pour ça...

En vérité, le concept de "communication", comme il est employé dans notre société de "consommation", est éminemment suspect. Si la formule n’était pas aussi brutale, on aurait déjà vu le slogan "consommez de la communication", car c’est ce que nous faisons et l’on sait bien que les publicitaires disent la vérité sur ce que nous faisons ou plutôt sur ce qu’ils veulent que nous fassions et que nous n’hésitons pas à faire. Or, ce que nous consommons en vérité, c’est du temps. Notre temps de vie. Un temps que nous passons devant les écrans, ou à "communiquer" avec les absents. Et cette absence n’est plus un problème, bien au contraire, puisqu’elle se transforme à loisir en présence virtuelle et, en cas de lassitude, à nouveau en absence, créant ainsi une double illusion de permanence et de reproductibilité infinie des instants, quand on sait que le temps nous est compté et que les différents moments de la vie ne se répètent pas, à l’image de cette enfance révolue, de ce proche disparu ou de cet amour perdu, comme dirait le poète. Le temps limité de vie dont nous disposons, nous sommes en train de l’hypothéquer pour consommer du temps reproductible, avec la conscience malheureuse du consommateur car, devant ce monde parfait, notre désir restera toujours insatiable. Et, devant ce monde parfait, n’est-ce pas le réel qui finit par nous encombrer? Notre propre réel. Et celui de l’autre. Ne commençons-nous pas à éprouver certaines difficultés de communication sans notre appareillage? Et finirons-nous peut-être par redouter le contact humain en dehors des heures de bureau?

      En tout cas, voilà un marché formidable ! Voilà des gens qui payent pour donner et souvent perdre leur temps. Or, en principe, c’est l’inverse, puisqu’on donne et on perd souvent son temps en travaillant. Mais alors, comment les gens se procurent-ils tout cet argent pour payer le temps qu’ils donnent et perdent souvent? - En travaillant, pardi!

 épisode précédent >>>world wide web, "round 1"

 

notes - liens

(1) A titre d’exemples, on peut consulter :
 - "Carnets d’actualité" de Jean Daniel (Nouvel Observateur)
>>>http://jean-daniel.blogs.nouvelobs.com/
 - "Rebuts de presse" de Didier Jacob (Nouvel Observateur)
>>>http://didier-jacob.blogs.nouvelobs.com/
- Les blogs de Télérama
>>>http://blogtv.telerama.fr/
- Les blogs de L’Express
>>>http://www.lexpress.presse.fr/idees/blogs/default.asp

(2) Pour information, le sens de cette démarche de publication est présentée comme ceci par les hébergeurs: "Un blog est un site Web convivial, qui vous permet de donner rapidement votre avis sur un sujet qui vous tient à cœur, d’échanger des idées avec d’autres internautes et bien plus encore. Et c’est gratuit." (blogger.com, hébergé par Google qui souligne) - "Restez en contact avec votre famille et vos amis. Maintenez votre blog et partagez vos photos. Faites votre nid sur le Web et partagez vos passions avec vos visiteurs. Contrôlez totalement ce que peuvent voir les visiteurs sur votre page. Et en plus, c’est gratuit !" (fr.360.yahoo.com, hébergé par Yahoo qui souligne) - "Créer un blog personnel, simple et gratuit - Créez votre site personnel sans aucune connaissance technique. Le blog est la solution idéale pour publier et partager sur internet vos idées et vos créations." (over-blog.com qui souligne)

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