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Joe Manassé
BUTIN DE GUERRE
(16 mars 2003)


Il y a de ces états où il nous arrive de dire : "j’ai la haine"... Et parfois on ne sait même plus contre qui ce sentiment se dirige, tellement il est impersonnel, désespéré, solitaire...

Oui, personne ne parle du calcul des stratèges : combien ça coûte, Jean-Pierre, de mettre près de trois cent mille hommes en mouvement, à l’autre bout de la planète, dans le désert, un ultimatum tatoué sur le front...

J’écoute Frank Zappa. The Torture Never Stops. Avant sa mort en 1993, cet artiste de génie avait été candidat à la Maison Blanche, comme Coluche l’avait été à l’Élysée. Et, comme les Français, les Américains ont fait un autre choix...

Oui, les stratèges misent sur le butin de guerre pour équilibrer les comptes. Ainsi, il serait possible de poser une équivalence entre la mort, la destruction, la haine et l’argent. Combien ça coûte, la haine...? Combien vaut un enfant qui meurt sous les bombes, les rafales de mitraillette...? Et, pour porter ce raisonnement à son paroxysme : à quel crédit de haine, de destruction, de mort est évaluée chacune des victimes du World Trade Center...? est-ce possible d’exprimer le résultat en barils de pétrole...?

Lord have mercy... c’est ce que disent les guitaristes texans pour lancer leur solo...

Les Romains avaient un sens développé du butin de guerre : au vaincu de régler la paye du légionnaire, de lui donner un lopin de terre pour ses vieux jours, une femme, des enfants, des esclaves... tandis que les vétérans de guerre américains traversent les films underground sur leurs fauteuils roulants, une bouteille de whisky à la main, en déversant leur haine sur les passants...

Aujourd’hui le ciel est cobalt. Les envolées lyriques de Frank Zappa rappellent une époque où tout était possible, même le paradis sur terre, à l’image de la grande comédie américaine qui, au plus près d’un réel insupportable, pointait toujours un ailleurs insoupçonné, une issue possible, une chance de s’en tirer : Charles Chaplin, Ernst Lubitsch, Billy Wilder.

L’insupportable du réel tient dans les calculs des stratèges, qui posent une équation entre des choses a priori incommensurables. Ces stratèges, en temps de paix, se recyclent dans l’économie de marché pour y mettre en oeuvre des stratégies commerciales, des campagnes de publicité... mais l’Histoire a montré que, si l’argent est le "nerf de la guerre", la guerre reste le booster le plus formidable de l’économie. Pour preuve, l’économie de l’Allemagne nazie, tout entière orientée sur une guerre annoncée puis exécutée à la lettre, jusque dans la destruction la plus insensée et pour l’heure toujours inégalée. C’est ce pas que prend l’économie américaine, et la hausse des bourses du monde entier est l’indicateur le plus fiable pour attester de ce sordide état de fait.

Quelle chance reste-t-il de nous en tirer à "bon compte", nous qui ne participons à l’économie de marché que sous deux formes : comme petite main ou comme chair à canon...?

Non, bien sûr, pour l’heure, la guerre ne viendra enflammer nos confortables intérieurs d’esclaves que sous forme de ressassements télévisuels around the clock : one o’clock shock, two o’clock shock... alors, quand on a la haine, on se le demande : combien de vies humaines faut-il abréger dans d’atroces souffrances au prix d’un spot publicitaire inséré dans la retransmission live des massacres à venir...?

Mais Frank Zappa nous a prévenus dès la révolte du ghetto de Watts (Los Angeles) en 1966, dont le bain de sang s’affichait en direct sur les écrans commerciaux:

- I’m about to get sick from watching my TV... !

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