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SKARLET : “Médialectiques” (5)

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"Blog"
vendredi 11 février 2005

Selon une information donnée hier à la télévision française, 2000 nouveaux blogs seraient mis en ligne tous les mois. Cette estimation ne précise pas s’il s’agit de la France ou du monde. De la France, sans aucun doute. Car le moteur de recherche Google indique 173 millions d’entrées pour le mot "blog" dans le world wide web. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il y ait le même nombre de carnets personnels en ligne. Dans la foulée, le magazine Tracks de cette semaine (sur Arte) a diffusé l’interview d’une "blogueuse" parisienne : sa tasse de café à la main, elle dit que si, par le passé, on ne documentait que la vie des "grands", rois et reines, le public d’aujourd’hui s’intéresserait plutôt à la vie quotidienne des ("petites") gens; et de publier la liste de ses courses.
       Dans un cadre un peu plus sérieux, le phénomène des blogs nous était apparu lors de la seconde guerre en Irak (printemps 2003) avec le journal d’un certain Salam Pax à Bagdad, qui mettait en ligne ses observations dans la perspective d’une attaque massive des Américains sur sa ville. Si les journaux établis ont alors mis en doute l’identité et la sincérité du rédacteur, Salam Pax est (ré)apparu sur la scène médiatique quelque temps plus tard avec son journal sous la forme d’un livre, levant ainsi les doutes grâce à "l’autorité de la chose publiée".
       Aujourd’hui, et même au printemps 2003 déjà, le phénomène des blogs a pris de l’ampleur. Mais, pour bénéfique qu’elle soit, cette nouvelle forme de "libre expression" n’échappe pas à la critique émise naguère, quand le "bloc de l’Est" existait encore : dans nos contrées dites libres, on peut en effet dire ce que l’on veut, mais dans la cacophonie ambiante on ne s’entend plus parler. - Cependant, les moteurs de recherche permettent, en associant plusieurs mots, de faire un premier tri dans cette jungle dominée par les affaires privées et l'autoreprésentation sur fond d'appels permanents  à la consommation. En août 2003, le Monde diplomatique a publié un papier assez instructif sur le phénomène. L’article de Francis Pisani (journaliste à San Francisco) commence par un historique:

"Blog est une abréviation de weblog, qui peut se traduire par « carnet de bord sur la Toile ». (...) Le premier blog reconnu comme tel remonte au 7 octobre 1994, et il est attribué à Dave Winer, programmeur et développeur d’un des logiciels les plus couramment utilisés (Manila). - Les warblogs, ou « carnets de guerre », sont nés après le 11 septembre 2001 à l’initiative de commentateurs conservateurs qui voulaient une approche encore plus patriotique que celle des grands médias jugés « libéraux », c’est-à-dire trop à gauche. Mais le récent conflit d’Irak a permis de leur donner un sens plus général, et le terme a fini par désigner les blogs consacrés à la guerre en Irak. - Le plus célèbre des warblogueurs est un Irakien qui répond au pseudonyme blog de Salam Pax (« paix », en arabe et en latin). Avec un style acerbe, il s’en est pris d’abord à M. Saddam Hussein, puis aux bombardements, et maintenant volontiers aux occupants américains. Salam Pax donne une image plus vivante de la vie à Bagdad avant, pendant et après l’invasion militaire que la plupart des correspondants étrangers. On a essayé de le faire passer pour un agent de la dictature, puis de la CIA, mais la fraîcheur de son regard a attiré assez de visiteurs sur son site pour faire sauter (ou presque) les serveurs qui l’hébergent. Les plus grands médias lui ont consacré des articles. The Guardian de Londres vient de l’embaucher comme chroniqueur bimensuel." 

     Ce dénouement heureux est évidemment rarissime. Même si leurs plumes et pensées sont brillantes, l’immense majorité des chroniqueurs plus ou moins improvisés devra tôt ou tard s’avouer que personne, excepté peut-être leur entourage, ne découvrira jamais leurs réflexions sur l’actualité ou le détail de leurs vécus intimes puisqu’ils sont noyés dans un océan de confessions "gratuites", dont beaucoup sont "hébergés" ou "recensés" par des opérateurs commerciaux qui, dans tous les domaines possibles et imaginables, accaparent les moteurs de recherche. - Dans ce contexte, le maître mot est en effet la "gratuité". Et le double sens de ce mot en français est là pour appuyer le message : quelque chose de "gratuit" doit être considéré comme inutile, vain etc. Or, la soi-disant "gratuité" des sites, qui proposent à ces nouveaux chroniqueurs d’héberger leurs carnets en ligne, est toute relative, puisque les rédacteurs n’échappent pas, à de rares exceptions près - blogger.com (Google) et wordpress.com -  aux messages publicitaires insérés dans leurs articles, qui prennent alors l’allure de "contenus" gratuits offerts pour satisfaire les ambitions commerciales des "hébergeurs". En effet rien n’est gratuit dans cette nouvelle économie de la "communication" puisqu’il faut en outre s’acquitter des frais de connexion, des abonnements haut-débit, sans quoi rien ne va plus aujourd’hui, et s’équiper de matériel informatique toujours plus "performant", de plus en plus rapidement frappé d’obsolescence.

 De toute évidence, les blogs témoignent d’un intense besoin de se communiquer, qui est peut-être un effet de la condition des "individus" dans nos sociétés actuelles : davantage de solitude, d’indifférence et de concurrence, moins de socialisation et de partage. Besoin "narcissique" aussi, sans doute. Puisque les médias "traditionnels", les annonceurs ne cessent d’y faire appel. Ainsi, les blogs posent implicitement (et parfois explicitement) le problème de la soi-disant "société de communication". Ils permettent aux individus esseulés d’y prendre part, - virtuellement, bien sûr ! Nonobstant, la formule chère au philosophe Hegel reste toujours d’actualité : lorsqu’un concept nouveau apparaît (comme celui de "communication"), la chose ou le phénomène qu’il désigne ont disparu. Le concept de "Nature", qui depuis Rousseau est dans toutes les bouches, illustre cette idée à merveille. Sentant les objections, je précise : bien sûr, la nature, la communication continuent d’exister, mais c’est notre relation à elles qui est devenue problématique !

     Depuis l’apparition des blogs et plus généralement des "pages perso" sur Internet, tout individu peut aujourd’hui s’improviser chroniqueur, journaliste, sociologue, philosophe, et même éditeur. De manière générale, c’est une bonne chose, étant donné le conventionnalisme qui, souvent, caractérise la "scène officielle". Car, pour l’instant, le nouveau "médium" Internet permet encore à une "autre scène" de se développer, qui rappelle par moments le mouvement underground des années 1960-70. - Mais, outre les tentatives de "récupération" marchande, une autre menace pèse sur cette "scène parallèle": le repli sur l’ego et l’égocentrisme d’un grand nombre de pages web, qui servent exclusivement à la promotion personnelle des concepteurs, suivant en cela le modèle des pages commerciales. - Par ailleurs, les chroniques des blogs, si elles ne sont pas "nombrilistes", ont des difficultés à dépasser la sphère purement subjective dans l’esprit des lecteurs parce que le blogueur n’écrit pas "sous le contrôle" d’un comité de rédaction, par exemple, ou d’un éditeur. Bizarrement, cette liberté d’expression, en principe absolue, paraît alors suspecte (à l’image du blog de Salam Pax) comme s’il fallait une censure (ou, plus précisément, une "auto-censure") pour valider ("crédibiliser") un texte. Cette "autorité de la chose publiée", déjà évoquée, fait de toute évidence défaut sur Internet, même si les élucubrations les plus insensées peuvent également se retrouver dans un journal ou un livre "en vente libre" sur la place publique.

      Au début du phénomène Internet, j’ai pensé que ce "nouveau médium" ne serait pas très intéressant parce qu’il a été aussitôt envahi par les commerciaux et les intermédiaires, les "start-ups" et les annonceurs. Aujourd’hui, j’hésite. La "nouvelle économie" a connu une première vague de faillite retentissante, mais la mondialisation cybernétique à vocation commerciale continue sa progression avec un fort penchant pour la surveillance des individus, dans un premier temps pour "exploiter" leurs "préférences". Ceci dit, il reste aujourd’hui encore de la place pour l’insolite, l’imprévu, et les solidarisations spontanées. Selon le mot d’un ami, les blogs sont des bouteilles jetées à la mer où les rédacteurs peuvent continuer de nourrir leurs espoirs car, "virtuellement", le monde entier peut avoir accès à leurs pensées en ligne.

Voir aussi plus loin : Dans les filets d’Internet et Dans la société de communication

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