1) DÉSOCIALISATION
La
recherche forcenée de l’identité, à
laquelle nous assistons actuellement, recherche plus ou moins
fiévreuse, risque de se répandre comme une épidémie
sur toute la planète, en s’adaptant involontairement,
elle aussi, aux lois du marché mondial. Il est fort
possible qu’elle vise en vérité un but, un
objectif, à jamais perdu — perdu justement au cours
d’une désintégration et d’une
déterritorialisation des hommes, des familles, des clans, des
peuples, des ethnies, désintégration et
déterritorialisation en acte de longue date et provenant des
activités et de l’esprit d’un capitalisme
qui n’a jamais connu et reconnu en vérité, ni
peuple ni nation, ni pays ni frontières.
Toute
identité, même la plus modeste, fonctionne comme une
sorte de paravent. En étant l’autre de l’homme, en
étant son ombre, son écho, son partenaire, elle lui
assure le signe, le symbole de ce que l’on pourrait appeler son
monde. L’homme contemporain vit sans monde véritable, et
il est donc sans "paravent", sans protection solide, sans
peau. La violence, exercée par un régime, étant
plutôt omniprésente que présente, plutôt
sensation qu’expérience tangible, semble au
contraire exprimer la vulnérabilité de l’homme
poussée à l’extrême. Le libéralisme
des sociétés libérales, exerce en quelque sorte
un totalitarisme démocratique, déjà
dénoncé par Alexis de Tocqueville dans son œuvre
De la démocratie en Amérique. Par son propre
mouvement — mouvement scientifique et analytique, mouvement de
la mode, du marché — il relativise tout concept, toute foi,
toute "identité" de façon quasi-automatique.
En ce sens, il ne produit pas, mais il détruit,
suivant la ligne d’un cercle, à la façon
d’une plaque
tournante, toujours déjà arrivée à
son but virtuel et mécanique : la
dissolution/relativisation/neutralisation de toute chose, de toute
"production", de toute "identité". Toute
recherche d’identité, même la plus authentique,
la plus traditionnelle, la plus "normale", court le risque
paradoxal de se retrouver un jour à son point de départ,
au point de son expérience initiale, marquée par
l’isolement total au sein de la société de masse.
Resocialisation et désocialisation se
rejoignent, et c’est là que l’on s’aperçoit
d’une contradiction fondamentale, inhérente à
tout concept d’identité :
ainsi,
l’identité comme telle, l’identité pure et
absolue n’est qu’un concept abstrait, une simple généralité, imposée
par une société elle-même abstraite et générale,
une "société générale"
pour ainsi dire, qui existe pour tout le monde et pour personne. Comme tout concept pur et
absolu, "identique à soi", l’identité
projette en vérité une ombre, l’ombre d’elle-même,
l’autre d’elle-même, l’altérité
de l’identité. Ce mécanisme qui lui est inhérent,
déjà décrit par Hegel dans la Phénoménologie
de l’esprit, est le résultat d’un mouvement de pensée
incapable de concevoir l’un sans
l’autre, l’identité sans altérité.
Appliqué aveuglément à une
donnée réelle quelconque, ce mécanisme
ne peut que mettre fin à ce qui, pour Hegel,
aurait été un mouvement dialectique
qui ne s’arrête ni volontairement ni arbitrairement mais
qui suit les mouvements réels et
historiques. Restant ainsi lié au stade initial du mouvement
dialectique, à la pure et simple opposition
identité/altérité, opposition entièrement
théorique, le mécanisme d’une identification
banale, fixe et définitive, nous amène directement
à l’impasse bien connue du code binaire, de
l’alternative entre oui et
non, identique et non-identique, en
suivant des
lois de la logique philosophique qui remontent à l’Antiquité.
Le consommateur
réel réclame le non-consommateur réel, le
pauvre, la victime. On remarque ici la même dialectique
stagnante, le même cercle clos, qui ne peut que
tourner en rond, cercle oscillant sans cesse et sans issue
entre homme et sous-homme, entre êtres favorisés
et êtres non-favorisés, qui ont caractérisé
les régimes totalitaires. Cette société tournant sans cesse autour du soleil de
sa conservation (son auto-conservation)
sans limites semble littéralement avoir renoncé
à toute histoire possible. Comme telle,
cette société, qui se borne
sans réserve à sa conservation (son auto-conservation), au
status quo de son existence pure et simple, à sa
survie plate et matérielle, ne sera
en effet plus en mesure de s’occuper de ceux qui sont —
et qui seront — les victimes manifestes de l’arrêt
de tout "progrès historique". Elle ne sait que les
exclure, au profit du bon fonctionnement du système et
de son status quo, au profit du mouvement éternel de la
plaque tournante immense des affaires et du marché mondial.
De nos jours, le "sous-homme" n’est même plus en mesure de se
servir, comme l’a observé Jacques Poulain, des droits de
l’Homme les plus élémentaires.
Pour lui, ces droits restent
purement formels : ils n’existent
plus.
A l’heure actuelle,
nous suivons, consciemment ou inconsciemment, volontairement ou involontairement,
deux pistes opposées : la piste d’une globalisation et
planétarisation sans pareille, et la piste d’une
individualisation et d’un repli identitaire sans pareille.
En soi, ces deux pistes
ne sont pas "fausses". La bannière d’un
individu libre, fort et fier de soi, flottant à côté
du drapeau d’une humanité enfin réunie, paisible
et tolérante, serait plus que souhaitable. Mais la
condition d’un tel état des choses — état
quelque peu paradisiaque — serait de pouvoir se libérer
de l’impasse, du piège d’une dialectique
stagnante, qui fait que nos ambitions de tolérance sont
pour la plupart aussi vides, aussi théoriques que nos expériences
réelles d’intolérance. En
vérité, tolérance et
intolérance vont, elles aussi, de
pair. Tout tolérer n’est au fond pas moins dangereux que
ne rien tolérer du tout. Pourquoi ne pas avouer nos sensibilités,
nos aversions, nos "allergies", nos différences et
divergences véritables ? Il n’est tout simplement pas
vrai qu’elles s’excluent les unes les autres. La
dialectique stagnante est une maladie hypocrite.
Probablement issue des contraintes multiples et embarrassantes de
la bataille économique quotidienne,
qui envahit toute la
planète, elle a complètement fait oublier que, jadis,
rien n’était plus normal
que la coexistence des gens : cohabitation des races, peuples,
ethnies, familles, religions non par une
tolérance
apriorique et contrainte, mais par la reconnaissance,
le respect de l’autre, qui n’était pas encore
considéré comme l’altérité
de l’identité, comme la négation
d’une position présumé.
Il semble que le mode d’exclusion/inclusion
"automatique" n’est que le symptôme d’une perte d’identité et
d’identification profonde de l’homme contemporain.
2) TÉLÉRELATION
C’est
en ville que l’homme commence à développer ce que
l’on pourrait appeler la télérelation. La
relation immédiate des choses et des hommes a été
interrompue par l’intervention d’un tiers – d’un
médium – pour l’échange des choses :
l’argent, et d’un médiateur
pour les hommes et leur accès aux biens :
le commerçant. La première scène de cette
histoire se déroule en Grèce antique,
au 7ème
siècle avant J.-C. La figure de Solon, fondateur légendaire
de la démocratie athénienne, réunit à lui seul l’homme
d’État, le marchand, le poète et le philosophe.
Mais comme premier « législateur », il
semble s’être considéré lui-même
comme un "médiateur" (intermédiaire) avant tout.
A
n’importe quel niveau, la médiation s’avère
capable de couper les processus dits historiques ou biographiques.
Dès l’époque de Solon se profile un mode d’accès
aux biens plus direct et immédiat que celui de l’ère
féodale. Pour se procurer un bout de terre ou même une
ancienne propriété « aristocratique »
(son « histoire » incluse), il suffira d’être
en possession d’un bien d’échange totalement
abstrait (immatériel). Tout acte d’échange qui se
réalise par le médium neutre (et neutralisant) de
l’argent, peut mettre fin à une histoire – ou bien
en reprendre, en recommencer une autre.
Nous voyons qu’un
élément arbitraire entre en jeu qui brise le règne
féodal, qu’il remplace par le règne de la Loi.
Règne monétaire et règne du droit vont en effet
de pair : ils sont inséparables.
Ainsi, un tout autre régime
se prépare : le régime démocratique et
légiférant, qui projettera lui aussi, à la longue, son
ombre, l’ombre de l’arbitraire, d’un enrichissement
sans bornes et d’une immédiateté totale quant à
l’accès aux biens (et aux plaisirs) du monde. Sur
ce point – à savoir le risque d’un déraillement du
système judiciaire – la
législation de Solon, fondée sur les trois
classes des sociétés occidentales (aristocrates,
artisans, paysans), était bien plus
prévoyante et stricte que la loi actuelle.
Un tel «
déraillement » ne paraît s’imposer qu’au
moment du véritable tournant d’une société
sans cesse soumise à des règles non écrites de
comportement, qui se livre à ce que l’on appellera
plus tard libéralisme – et aujourd’hui déjà
néolibéralisme – comprenant en premier lieu la
libéralisation de toute activité visant l’intérêt privé des seuls individus. Et
c’est cette privation rampante des individus – privation de leur classe, de leur
état, de leur clan, de leur famille – avec pour conséquence un véritable
déchaînement de l’activité économique, qui aboutira finalement à des effets
sociaux purement désocialisants. La
société risque alors de se dissoudre dans une «
société de masse », sans structure véritable
et sans règlement interne. Vient le moment où le monde
– ou ce qui nous tient lieu de « monde » –
cesse finalement d’être un
monde pour se transformer en un
gigantesque appareil informe au seul service des soifs, des désirs
et des fantasmes de l’Homme.
La technique sophistiquée
de notre époque en est pour ainsi dire le paroxysme, le
résultat final. Elle ne paraît viser qu’un seul et
ultime but : la médiatisation du monde sans reste et jusqu’au
point où toute chose aura trouvé son double, son image,
son simulacre, où l’accès aux choses
n’est permis qu’à
travers ce double, cette image. Et par la médiation d’une
« chose » qui n’est plus elle-même – avec,
bien sûr,
la possibilité d’une reproductibilité
sans fin et en quelque sorte éternelle de ces « choses »
– le médiateur remporterait sa victoire finale.
Pensons, dans ce contexte, à la capacité inouïe
du capitalisme actuel (postindustriel) de soumettre toute activité
humaine à son médium basal et fondamental : le
code
monétaire. En ce sens, le capitalisme n’a pas de
but : il ne vise pas même un pouvoir qui serait équivalent
à celui d’un premier ou d’un deuxième
état
dans les sociétés divisées en castes.
Historiquement issu du
tiers-état, il reste lié à sa tâche originelle : le maniement et la
gestion des biens, des affaires, sans finalité évidente.
Son seul but déclaré est l’auto-conservation de
l’Homme, mais si ce but ne mène nulle part,
il ne peut qu’augmenter le risque que le «moteur de l’auto-conservation »
ne tombe en panne par
surchauffe.
Le besoin croissant de se confier sans limites à
des médias omniprésents, d’utiliser les
possibilités de "télérelations"
ainsi offertes, qui permettent d’entrer
en contact à tout
moment avec n’importe qui et n’importe quoi, à
une vitesse proche de celle de la lumière, ce besoin n’est rien
d’autre que l’expression scénique – la
scénarisation – de
l’état des choses
qui vient d’être esquissé : il n’est
plus très éloigné d’un autisme rampant
; car, en dernière analyse, on ne communique plus avec le monde
: on communique avec soi-même, n’obéissant en
vérité qu’à ses propres impulsions,
fantasmes ou obsessions. La télérelation finit par
secréter une relation autiste à soi-même.
Dans cet ordre d’idées, un film me vient
à l’esprit (dont j’ignore
malheureusement le réalisateur et le titre), qui cherche à
rendre compte d’une situation totalement médiatisée.
Toute relation y est devenue affaire d’appareils, de
téléphones, de répondeurs automatiques. Personne
ne rencontre plus personne. On se parle de façon narcissique
et monomaniaque : des monologues interminables, des promesses de
rendez-vous, jamais tenues ; une atmosphère intenable,
étouffante, qui empêche de suivre ce film jusqu’au
bout...
Il va de soi que l’on pourrait imaginer un tout
autre usage des médias existants, un usage autonome et distancié,
qui favoriserait des buts, des intentions inverses, des projets et
des essais, qui viserait une certaine « resocialisation »
de l’homme : sa resocialisation « sur une base
électronique ». Mais cela réclamerait
un changement social non moins radical que celui qui nous a conduit à
la société libérale ou néolibérale
actuelle.
3) L’INTÉRIORISATION DU CODE
MONÉTAIRE
“Peut-on penser que le
néolibéralisme, dans son oeuvre de destruction (‘des structures collectives’: P.
Bourdieu), puisse laisser intact l’individu-sujet”? se demande Dany-Robert
Dufour dans un article (Monde diplomatique de février 2001, p.
16-17). La réponse est bien sûr négative. Selon lui, une véritable
“destitution du sujet” s’est produite et, comme beaucoup d’autres, Dufour
cherche à s’expliquer cette “destitution” par l’absence d’un “énonciateur
collectif”, la disparition du Grand Autre (lacanien). “Pour que je sois ici, il
faut en somme que l’Autre soit là,” dit-il, en ajoutant que “le marché ne vaut
nullement comme nouvel Autre.”
Pourtant, ce même marché
semble représenter, à l’heure actuelle, une sorte de plate-forme, qui réunit
virtuellement toute l’humanité de la planète. Obéissant à un seul code général,
le code monétaire, obligatoire pour tous ceux qui cherchent à accéder aux biens
de ce monde - et qui pourrait encore en faire exception, en vérité? - le
marché, devenu marché mondial, semble fonctionner, dans son ensemble,
exactement comme l’Autre de l’Homme, - et même le seul Autre
à considérer comme objectif.
Car il y a plusieurs
“Autres” dans un monde qui s’approche de plus en plus - et malgré les énormes
turbulences en cours - d’un seul et unique Univers. A l’égard du seul
code cependant, accepté comme objectif - et qui est, pour cette même
raison, à l’origine de l’unification actuelle du monde - tout autre “code” - à
savoir les anciens ou les nouveaux “dieux” (“dieu” de tradition, de différentes
cultures, d’idéologies récentes ou historiques) - ne peut figurer que sous forme
“subjective”. Vu la force, le régime incontournable du code mondial-monétaire
actuel, les autres codes (régimes) s’avèrent en quelque sorte relatifs -
et c’est en dernière instance le code mondial-monétaire qui les a “relativisés”.
Mais d’où vient cette force
inouïe, cette capacité de relativiser tout autre “énonciateur collectif”? Quelle
est son énigme? Cette force réside, semble-t-il, dans son pouvoir de s’adresser
à l’homme de façon paradoxale et contradictoire. Elle lui lance deux appels
opposés, qui se neutralisent - et se renforcent - mutuellement. L’appel à sa
socialisation - socialisation froide, mais efficace et
reconnue, “socialisation par l’argent” - s’accompagne de l’appel inverse, de
l’appel à son “égoïsme naturel”, à ses “instincts d’autoconservation normaux” -
et donc à sa désocialisation.
Vu la longue histoire de cette
“pratique”, qui arrive peut-être à son paroxysme de nos jours - et donc au
risque d’une “destitution de l’individu-sujet” totale et irréversible - il n’est
pas à exclure qu’on frise déjà une situation désignée par Bateson et ses
collaborateurs (à l’occasion du diagnostic de la schizophrenie familiale) par
l’expression du double bind ou double binding. Nous
oublions trop facilement, que l’homme, le zoon politikon par excellence,
n’échappe jamais véritablement et définitivement à ses ambitions
fondamentales. Son désir de pouvoir se refléter, se miroiter - et de briller
- vis-à-vis de ses semblables, des “autres”, lui est aussi indispensable que
les désirs les plus ordinaires ou les plus “égoïstes”.
En langue allemande, certaines
allusions à une sorte de reconnaissance sociale, de considération,
due à la richesse ou au mode de vie et de confort qui en résultent, semblent,
dans ce contexte, un peu plus “lisibles” qu’en langue française. Les mots
Geld (“argent”) et gelten (“être considéré”, "avoir de la valeur")
p.ex. peuvent y être employés de facon presque synonyme.
Avec l’ère dite bourgeoise, à
partir du seizième, dix-septième siècle européen, un changement frappant dans
l’attitude et la conduite vis-à-vis de l’argent commence à s’imposer. Le fameux
“code”, qui se transforme alors en une véritable clé, en ce seul
passe-partout valable pour accéder aux biens de ce monde, commençait à perdre
son aspect sinistre, sa réputation suspecte et “diabolique”, héritée du
Moyen-Age, que les esprits éclairés de l’époque comme Erasme de Rotterdam,
Thomas Morus ou William Shakespeare continuaient cependant de lui prêter. Sous
l’influence puissante de la Réformation, de la religion chrétienne
réformée, et en particulier du Calvinisme, s’articule maintenant l’idée
que toute fortune, toute richesse est un signe de la bienveillance de Dieu
plutôt que l’oeuvre du “diable”. Et la nouvelle “considération”, vouée au code
socialisant-désocialisant, commence à se transmettre, bien sûr, aux
bénéficiaires mêmes d’un bien entièrement abstrait, qu’il fallait stocker
et accumuler d’autant plus que le Dieu bienveillant, le “Dieu
réformé” avait interdit toute dépense inutile et luxuriante.
Mais une fois sacré - sacré par
le “Bon Dieu” lui-même - le nouveau “fétiche”, comme l’appellera Karl Marx
quelques générations plus tard, emprunta son propre chemin en s’affranchissant
de son maître suprême, le Bon Dieu bienveillant. Comme l’homme moderne lui-même,
il se procura progressivement les insignes de sa propre superbe. Devenu
Dieu à son tour - et il est en effet conçu de la sorte dans l’analyse de
Marx - il était manifestemant immigré de l’extérieur vers l’intérieur, de
l’espace tridimensionnel qui permettait de s’y confronter, de le situer, de le
battre (comme Erasme, Morus, Shakespeare) vers le lieu non-spatial et imaginaire
de l’esprit (de l’âme), conçu par Descartes comme res cogitans,
et ce n’est pas un hasard : car à partir de ce moment précis, il pouvait
s’immiscer clandestinement dans les pensées les plus subtiles et les plus pures,
y compris les pensées de la Haute Philosophie (p.ex. chez Immanuel Kant - comme
le montrent les recherches de A. Sohn-Rethel. J. Manthey, J. Hörisch, E.
Bockelmann, et la conclusion de notre propos).
Son énigme en vérité est simple.
Il exerce partout le même pouvoir, le pouvoir d’établir des synthèses
entre particulier et général, chose et concept,
singulier et pluriel (marchandise et argent).
L’expérience nouvelle, faite par le maniement continu du
“généralisateur-synthétiseur” argent, semble se trouver à l’origine de
toute méthode et de tout mode de généralisation et de synthèse, soient-ils
scientifiques, philosophiques, sociologiques, politologiques etc.
Le régime du code monétaire, du
nouveau Tiers, du nouvel Autre de l’Homme semble s’être installé de facon plutôt
inaperçue et “instinctive”. On en trouve partout des traces, des
résidus, qui sont en général codés, c’est-à-dire traduits en divers codes
appliqués dans les disciplines particulières dont ils font partie. Ainsi, on
peut p.ex. décoder ce qui se cache derrière les fameux jugements synthétiques
a priori dans la philosophie de Kant, - apriori énigmatique de la
faculté de juger de la raison.
Pour finir ce petit parcours
sommaire, une remarque un peu insolite: ce “pouvoir”, le pouvoir de la raison,
n’est en vérité pas si éloigné d’un pouvoir bien plus “matériel” qui, en langue
française, s’appelle le “pouvoir d’achat” - pouvoir qui sait, lui
aussi, synthétiser une généralité avec n’importe quelle particularité.
ÉLÉMENTS
BIOGRAPHIQUES
Né
en 1923 en Allemagne, Wolfgang Kaempfer fit l’expérience de la
guerre comme soldat à partir de 1941. Après 18 mois de
captivité en Russie, il entama un cursus universitaire
général, comprenant les sciences naturelles (physique
et chimie), la philosophie, la psychologie et la littérature.
En 1953, il passa son doctorat en lettres. Ensuite, il travailla
comme adaptateur scénique à la radiotélévision
de Berlin (SFB, aujourd’hui RBB), puis chez l’éditeur de
théâtre Felix Bloch Erben. En 1963 il fut engagé
au Goethe-Institut et
dirigea les Centres Culturels d’Alger et de Toulouse, tout en
effectuant des recherches en germanistique. Il publia des articles
dans diverses revues littéraires (Recherches
germaniques e. a.) et une
présentation très critique de l’écrivain Ernst
Jünger (1981). Au cours des années 1980, il entra en
contact avec le groupe constitué autour du département
d’Anthropologie Historique de l’Université
Libre de Berlin (FU), cofondé
par
Dietmar
Kamper, qui devint un ami
proche. Parallèlement, il enseigna la littérature en
Italie (Trieste, Padoue) et coorganisa des colloques avec l’Istituto
Gramsci et le Goethe-Institut
Trieste, dont il fut le directeur.
Ses recherches s’orientèrent alors plus particulièrement
sur le problème du temps, l’histoire, l’esthétique et
les phénomènes de civilisation. Ces thèmes sont
présents dans les quatre livres qu’il publia entre 1991 et
2005. Ses publications lui valurent des invitations à la
FU et à l’Université Humboldt de Berlin. Décédé
en 2009, son dernier projet théorétique devait toucher
à "l’acte civilisateur" d’Héraclès, né
de discussions avec son ami, le philosophe berlinois
Klaus
Heinrich. Mais une
autre passion, qui l’avait occupé dès sa jeunesse,
l’emporta: Ainsi, il préféra passer les deux dernières
années de sa vie à l’écriture d’un roman, qui
restera malheureusement inachevé.
ÉLÉMENTS
BIBLIOGRAPHIQUES
1)
français
Le double jeu du
temps (traduit par Stefan Kaempfer), L’Harmattan
1998, dans la collection "Philosophie en commun" dirigée
par
Jacques
Poulain
2)
allemand
Die Zeit und die Uhren, Francfort Insel 1991 ("Le Temps et les
Horloges", avec une contribution de Dietmar Kamper) "Die
Natur der Schönheit", Francfort Insel 1992 ("La nature
de la beauté", en collaboration avec le biochimiste
Friedrich Cramer)
Zeit des Menschen:, Francfort Insel
1994 (Le double jeu du
temps )
Zeitsturm
("Les conversations méditerranéennes de Dietmar
Kamper avec Wolfgang Kaempfer"), éd. Tectum 2004
Der stehende Sturm
("Dynamique
d’auto-dissociation de la
société"), éditions Kadmos 2005
Die unsichtbare Macht ("Le pouvoir invisible"), ouvrage
collectif (avec des contributions de W.K., Jacques Poulain, Dietmar
Kamper, Slavoj
Žižek),
éd. Sine Causa 2005
Certains
de ses articles sur la littérature allemande peuvent être
consultés dans la revue "Recherches Germaniques"
(Strasbourg). Son livre sur l’écrivain Ernst Jünger
est paru aux éditions Metzler (1981, épuisé, il
en existe une traduction italienne). D’autres articles,
philosophiques et sociologiques, sont parus notamment dans la revue
d’anthropologie historique
Paragrana, (Akademie Verlag, Berlin,
éditée par Christoph Wulf).
L’éditeur
berlinois Reinald Gußmann (Vorwerk 8)
annonce la publication d’un recueil d’essais pour 2010.
A
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La
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Le double jeu du temps (introduction)
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Cultures et Civilisation
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A la recherche de l’identité perdue. Réflexions sur le
capitalisme actuel
©
kaempfer 2009
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